Envies d’enfants

Samedi 18 mars 2023

Au théâtre de la Verrière à Lille

Bulletin d’inscription :

https://www.aleph-savoirs-et-clinique.org/wp-content/uploads/2023/01/BULLETIN-INSCRIPTION-colloque-2023.pdf

Saint Augustin se souvient de lui, envieux, devant l’image de son semblable nourri au sein : « il ne parlait pas encore et déjà il contemplait, pâle, d’un regard amer son frère de lait[1] ». L’envie surgit dans cette image du double comblé. Nécessaire à l’entrée dans le langage et dans le monde, l’envie est aussi une épreuve qui peut laisser des traces troubles durant toute la vie.

« J’ai envie de toi », voilà une phrase banale qui peut déclencher un cataclysme. Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux a furieusement envie d’engloutir des sucreries au moment où elle s’impose des règles cruelles pour ressembler à l’image de l’ « autre fille », la rivale pour qui l’ « Ange » , son amoureux, l’a laissée tomber. L’envie menace ses études de lettres car : « est-ce qu’on a envie d’être assise sur un banc à gratter comme une écolière quand on a – même refoulée, niée – l’expérience sexuelle d’une femme[2] ? »

L’envie apparaît dans la psychanalyse en 1908 lorsque Freud met l’envie du pénis (penisneid) de la petite fille, préliminaire à sa future envie d’enfant, au centre du complexe de castration féminin. Mais il sera contesté, d’abord par ses élèves femmes, comme Karen Horney, puis par les féministes qui refusent toute dépendance originaire de l’organe mâle, et prônent une genèse de la sexualité féminine articulée, comme celle du garçon, à la relation préœdipienne à la mère. C’est pourquoi l’envie introduit aux débats sur le rapport des deux sexes à la parentalité.

L’envie désigne en outre cette tache qui marque la peau du bébé à sa naissance. Le signe pourrait métaphoriser cette question, énigmatique, d’une forme de transmission de l’envie. On peut, en effet, se demander comment la future mère, ou le futur père, peut rejouer l’envie contenue dans le désir de ses parents ou, au contraire, faire de son envie d’enfant une réponse qui l’en protège.

Car l’envie et la jalousie sont au cœur de la clinique quotidienne de l’enfant et de l’adulte. Pour Mélanie Klein[3], l’envie est articulée à la pulsion de mort. Elle ronge le rapport du bébé à sa mère. Envier vient d’in-videre, que l’on peut traduire par « regarder de travers », cela désigne un regard qui consume l’individu, qui l’empoisonne. L’envie se différencie de la jalousie, plus sociale, où le sujet redoute d’être dépossédé de son objet par un tiers. Le nourrisson envieux veut détruire les « mauvais objets » que possède la mère et lui voler les « bons ».

L’envie peut conduire au crime, comme en témoignent maints faits divers. Dans Naissance de l’Autre[4], Robert et Rosine Lefort montrent comment des passages à l’acte violents de jeunes enfants psychotiques sont déclenchés par l’envie tyrannique. De plus, la dimension tragique de l’envie s’exprime dans le regard du mauvais œil qui revient dans le réel de la psychose passionnelle. Aimée, la patiente de Lacan jeune psychiatre, blesse une actrice célèbre, comme elle avait blessé d’autres célébrités auparavant. Ses crimes procèdent d’une fixation à l’image, dont elle parviendra à se libérer en prison grâce à l’écriture de textes magnifiques. Comment le sujet, névrosé ou psychotique, peut-il apprivoiser l’envie, dans le cadre du transfert ou d’une production artistique, pour pouvoir enfin exister ?

Le 24e colloque de l’ALEPH et du CP-ALEPH s’interrogera, avec nos collègues psychanalystes, psychiatres, psychologues, enseignants, artistes, sur les diverses formes de l’envie que nous rencontrons dans nos pratiques, dans la clinique, mais aussi dans les arts et les lettres.

[1] Extrait des Confessions (IV – Ve siècles) cité par Jacques Lacan in Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation (1958-1959), Seuil, 2013, séance du 11 février 1959.

[2] Annie Ernaux, Mémoire de fille, Gallimard, 2016, p.116.

[3] Mélanie Klein, Envie et gratitude, et autres essais (1957), Gallimard, 1968, p.17-19

[4] Rosine et Robert Lefort, Naissance de l’Autre, deux psychanalyses : Nadia (13 mois) et Marie-Françoise (30 mois), Seuil, 1980.

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