Le film « Démolition » de Jean-Marc Vallée avec Jake Gyllenhaal, Naomi Watts et Chris Cooper, illustre les propos d’Alcibiade dans Le banquet de Platon. Voir ce qu’il y a dans les bagages est un projet platonicien. Et cela passe par une démolition. Il faut casser le pot (le silène) pour y trouver l’agalma qui s’y loge.
David se montre « dans son monde », il ne fait pas attention à ce qui l’entoure. En voiture avec sa femme, elle doit lui rappeler qu’il a des outils (de réparation) chez lui depuis deux ans pour une réparation à faire sur le réfrigérateur qui fuit, ce qu’il a oublié. Juste après cette conversation, femme meurt dans l’accident de la voiture dans laquelle ils discutaient.
David ne réagit pas. Par contre, il fait des choses bizarres comme tirer la sonnette d’alarme du métro qu’il prend depuis des années pour aller au travail, « pour moi, c’était une évidence ! », dira-t-il aux policiers. Il se met aussi à écrire à la société propriétaire du distributeur de boissons de l’hôpital où son épouse est décédé. Il réclame les pièces qu’il a perdues dans cette machine sans avoir sa boisson. Mais, il veut « être précis » et il raconte sa vie ! Il ne peut plus s’arrêter d’écrire.
Un jour, ayant accompagné ses parents à l’aéroport, il remarque les valises que les personnes emportent avec elles. « Je suis deux heures à regarder les gens ramener leurs bagages. Et tout à coup, me voilà pris… attendez…submergé par…. une curiosité grandissante. Qu’y a-t-il dans ces bagages ? Je veux savoir ce qui est indispensable à ces gens pour un séjour de quatre jours à Buffalo ! Je veux inspecter chacune de leur valise ! Sortir tout ce qu’il y a dedans et en faire une énorme pile ! Le type de la garde nationale, je veux tenir son arme (nous voyons une scène de panique, le soldat épaule son arme, puis nous voyons David épauler cette arme et viser pour tirer). Je veux protéger la paix ! ».
David continue dans les bizarreries. Un jour, il démonte son ordinateur et le met en pièces détachées. Puis, il fait pareil avec les toilettes de son bureau et la machine à cappuccino que sa femme s’était faite livrer à son domicile. Il démonte aussi les appliques de la salle de bain de ses beaux-parents. « Maintenant, je remarque toutes sortes de choses et je veux voir comment ça marche. Comme cette horloge. J’ai envie de la démonter (avec ses outils, il se déplace avec sa caisse à outils) et puis, d’étaler toutes les pièces par terre (ce qu’il a fait pour l’ordinateur, les toilettes et le cappuccino). Je veux savoir comment c’est à l’intérieur ». Il « voit » l’intérieur des choses, savoir ce qu’il y a dedans.
Il dit : « je commence à voir des choses que je n’ai jamais vu auparavant (nous voyons sa femme entre deux portes, le soleil entre les arbres, la brosse à cheveux de sa femme). Enfin, peut-être que je les voyais. Mais, je n’étais pas attentif ».
En voiture, il croise des arbres couchés sur la pelouse : ces arbres sont « démontés ». David dit : « Allez savoir pourquoi, tout est devenu une métaphore. Je suis l’arbre déraciné…. non, attendez, je suis la tempête qui a déraciné l’arbre ». C’est un basculement, il est passé du démontage à la destruction. Sa « curiosité » s’est modifiée. Son envie de démonter s’est transformé en envie de « destruction, dévastation…l’envie de mettre quelque chose en bouillie ».
Alors, il s’achète des outils de démolition : « ce sont des outils de travail ». Par exemple : « je me suis retrouvé dans un lotissement où toutes les rues ont des noms de pierres précieuses », en croisant des ouvriers qui « démolissent tout le bazar » (une maison) » : il leur offre de les aider !
Ensuite, il démolit sa maison : « on démolit mon mariage ! ». C’est logique, d’abord il commençait à voir la femme qu’il n’avait pas vu avant. Puis, il démolit ce qu’elle lui a laissé.
Ce film se moque du paternalisme : nous voyons le beau-père de David mettre à l’abri l’horloge que David voulait démonter. David lui a démoli sa fille mais, il ne démolira pas ce bien si précieux qui lui vient de sa famille ! L’horloge, pas sa fille !
Cette ironie masque la réalité du capitalisme : l’amour pose la question de ce que l’on possède.
C’est aussi un constat réaliste sur la société homophobe : le fils transexuel de sa copine se faire démolir la figure par une bande de voyous.
Après tout cela, il trouve l’un des petits mots qu’elle laissait sur des post-it : « arrêtes d’être aussi fuyant et répare-moi ». C’est seulement à ce moment-là que David réalise sa perte. Il lui avait fallu voir et démolir ce qu’était sa femme pour savoir qu’il l’avait perdue.
C’est le sens de l’inscription du nom de sa femme que David inscrit dans le mur de sa maison au moment de la démolition. Une inscription réalisée au marteau piqueur par des lettres creuses, vides, trouant les murs de sa maison. Il lui a fallu démolir la coque de la maison dans laquelle se trouvait sa femme, pour voir ce qu’il y avait dedans. Puis démolir sa démolition, c’est-à-dire constater que dans cette maison, il n’y avait rien. Il avait perdu sa femme.
Alors, David répond enfin à la demande de sa femme, il se met à réparer. Il répare un manège qui était destiné à la démolition. Métaphore de l’amour qui survit à une démolition. Il assiste aussi à une démolition d’immeuble qui symbolise la renaissance de son désir de vivre.
Une fin très optimiste ? Plutôt, freudienne : nul ne peut tuer in abstentia, en effigie. Ou même lacanienne : il restera toujours quelque chose de cette histoire de démolition.