“L’esprit Malade. Cerveaux, folies, individus”, Pierre-Henri Castel

A paraitre début 2010, le dernier livre de Pierre-Henri Castel, “L’esprit malade. Cerveaux, folies, individus”, aux éditions d’Ithaque:

“Le formidable développement des neurosciences depuis les années 1980 présente un paradoxe, dont l’état actuel de la psychiatrie est particulièrement révélateur. Bien qu’on n’en ait jamais su autant sur le fonctionnement du cerveau, les avancées accomplies dans ce domaine n’ont permis d’éradiquer aucune des grandes pathologies men tales connues depuis deux siècles. En revanche, le style de rationalité exigible pour les décrire, les étudier et évaluer leur traitement s’est profondément transformé. La plupart des concepts psychologiques traditionnels ont été ou sont en cours de naturalisation: c’est en termes de neurobiologie et de biostatistiques que sont désormais jugés les états mentaux. L’esprit, c’est ce qui s’explique à partir du cerveau.

En abordant ici les modèles animaux de la folie, les hystéries modernes, la dépression, l’énigme des « fous criminels » ou celle de la conscience schizophrénique, l’auteur poursuit en réalité trois tâches. Il présente d’abord, sous leur jour le plus incisif, les mutations actuelles de quelques théories psychiatriques marquées par la domination conjointe des paradigmes neuroscientifique et évolutionniste. Il vise, ensuite, à dégager les présuppositions philosophiques ultimes de la naturalisation de la folie et des états psychiques morbides qui inspirent ces théories. Il interroge, enfin, les conditions anthropologiques du succès de l’«esprit-cerveau» en psychiatrie.

L’enjeu de ces essais, qui sont animés d’une intention constamment polémique, est de défendre une perspective holiste sur l’esprit, qui en dévoile la nature essentiellement sociale (l’esprit des représentations collectives, des règles sociales, des institutions, des formes de vie, etc.) sans pour autant épouser le relativisme historique. Il s’agit de mobiliser, outre des concepts, des objets concrets et exemplaires afin de montrer que le constructivisme social, largement inspiré par Michel Foucault, ne constitue pas la seule alternative à la naturalisation de l’esprit”.

Le site de Pierre-Henri Castel (directeur de recherches au CNRS et directeur du Centre de recherches Psychotropes, Santé mentale et Société, Université Paris Descartes) et des Editions d’Ithaque.

Les sciences sociales ne sont pas solubles dans les sciences cognitives, pétition contre la réforme du CNRS

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Les signataires de ce texte sont tous concernés par le domaine que le projet d’Institut National des Sciences Humaines et Sociales (INSHS) entend regrouper sous l’appellation « Cognition et comportement ».
Nous sommes étonnés et inquiets de voir que le projet considère que ces domaines relèvent exclusivement des sciences cognitives, constituant les « théories de la complexité » en référent méthodologique central. Il ne fait aucune mention de la philosophie des sciences non naturaliste, de la sociologie, de l’histoire, de l’anthropologie et des sciences politiques. Pourtant, la question de savoir ce que sont précisément la « cognition » et le « comportement » est, à l’évidence, un objet des sciences humaines et sociales : il suffit de penser aux conséquences juridiques et pénales, professionnelles, éducatives (pour ne citer que quelques exemples) de la définition de ce qu’est un comportement, ou aux dimensions collectives, linguistiques, pragmatiques de ce qu’on entend par cognition. Les sciences cognitives n’ont pas le monopole de la cognition.
Pour avoir une idée de l’aveuglement de la nouvelle perspective envisagée, rappelons-nous seulement l’intensité des polémiques qui ont suivi la publication de l’expertise collective de l’INSERM sur le trouble des conduites en 2005 : la définition des comportements anormaux des enfants est apparue immédiatement comme un enjeu de société. Nous sommes étonnés et inquiets de constater l’absence dans le projet des mots-clés santé mentale, psychiatrie, alors que ces domaines sont aujourd’hui, non seulement des préoccupations transversales de nos sociétés, mais encore des objets de conflits.
Peut-on encore sérieusement affirmer que la connaissance du « substrat cérébral » soit la principale chose à considérer pour traiter des questions d’éducation, de santé ou d’organisation du travail ? Les meilleurs spécialistes des neurosciences eux-mêmes s’en gardent bien, et nombreux sont ceux qui souhaiteraient un dialogue approfondi avec des historiens, des sociologues ou des philosophes, précisément sur ces points, afin de procéder à l’indispensable analyse conceptuelle des termes en question : esprit, cerveau, connaissance, comportement.
Le privilège accordé aux approches neuroscientifiques pour parler du comportement relève d’une politique de recherche à courte vue. Une telle approche idéologique ne saurait fonder une politique scientifique digne du futur Institut. S’agit-il de convertir de force la communauté scientifique en sciences humaines et sociales au paradigme cognitiviste ? Nous ne sommes pas appelés à devenir des neurosociologues, des neurophilosophes, des neuroanthropologues ou des neurohistoriens. L’examen concret de la normativité de la vie sociale découverte par l’École sociologique française (Durkheim et Mauss) et la sociologie allemande (Weber) n’est pas une illusion destinée à être remplacée par l’étude de la connectivité cérébrale. C’est un niveau autonome et irréductible de la réalité humaine.
Pourquoi, sans aucun argument explicite en sa faveur, accorder un pareil privilège à un paradigme particulier, naturaliste (ou du moins réductionniste), au détriment d’approches intégratives qui font place aux dimensions sociales de la formation des connaissances (aux contextes socio-historiques, aux institutions, …) ? L’INSHS doit-il mettre un seul paradigme intellectuel en position dominante ? Doit-il rayer d’un trait de plume le pluralisme méthodologique et les débats de la communauté scientifique internationale ? Doit-il enfin compter pour rien l’excellence reconnue des programmes non cognitivistes en SHS ?
Depuis plusieurs années des chercheurs en sciences sociales ont commencé à développer au sein du CNRS notamment, des recherches sur ces sujets. Ils ont constitué un milieu scientifique ouvert et créatif, et ont entamé son internationalisation. Le projet tel qu’il est conçu aujourd’hui mettra fin à cette dynamique. Au-delà, il menace l’existence même des sciences humaines et sociales comme disciplines vivantes, critiques e constructives.
Nous reconnaissons parfaitement l’intérêt des sciences cognitives, et la nécessité qu’elles aient leur place et qu’elles se développent à l’INSHS. De même il nous paraît essentiel de valoriser et de reconnaître les « théories de la complexité » comme un authentique partenaire scientifique dans les sciences humaines et sociales. C’est une condition évidente de la crédibilité scientifique internationale du futur Institut. Mais pour cette raison même, nous refusons leur monopole. Le statut du pôle « Cognition et comportement » tel qu’il est actuellement rédigé consacre la marginalisation d’autres paradigmes d’analyse ou leur insidieuse relégation dans le patrimoine historique.
Nous exigeons donc la réintroduction explicite, dans la mission confiée au pôle « Cognition et comportement », des disciplines qui en ont été exclues, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, la philosophie, l’économie (qui n’est pas une neuroéconomie, pour la plupart des chercheurs) et les sciences politiques afin, tout simplement, que la liberté et la qualité de la recherche soient préservées au sein de l’Institut.


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Les premiers signataires de cet appel sont : Simone Bateman (sociologue, directrice de recherche au CNRS), Jean-François Braunstein (philosophe, Pr à l’université Paris 1), Martine Bungener (économiste, directrice de recherche au CNRS), Pierre-Henri Castel (philosophe, directeur de recherche au CNRS), Jean-Paul Gaudillière (historien, directeur de recherche à l’INSERM, directeur d’études à l’EHESS), Vincent Descombes (philosophe, directeur d’études à l’EHESS), Alain Ehrenberg (sociologue, directeur de recherche au CNRS), Bruno Karsenti (philosophe, directeur d’études à l’EHESS), Sandra Laugier (philosophe, Pr à l’Université de Picardie), Bernard Lahire (sociologue, Pr à l’ENS-LSH), Frédéric Lebaron (sociologue, Pr à l’Université de Picardie), Michel Le Moal (psychiatre et neurobiologiste, membre de l’Académie des sciences), Olivier Martin (sociologue, Pr à l’Université Paris Descartes), Albert Ogien (sociologue, directeur de recherche au CNRS), Bernard Paulré (économiste, Pr Paris 1), François Rastier (linguiste, directeur de recherche au CNRS).

Le cerveau n’a pas d’esprit

Dans le contexte polémique de la « santé mentale », il très utile de lire l’article de Alain Erhenberg[1].

Alain Erhenberg[2] est sociologue. Dans cet article, Alain Erhenberg étudie les neurosciences. Il examine à quelle tendance de la philosophie des sciences et de l’histoire correspondent-elle. Erhenberg évite d’aborder le comportementalisme en tant que tel, ce faisant, il montre que les neurosciences s’en passent fort bien.

Erhenberg parvient à expliquer le succès des neurosciences : ce mouvement est issu de la conjonction d’une forte demande sociale (en finir avec la stigmatisation par la maladie et la mise en cause de la famille des patients) et de la promesse de soulager la souffrance par la connaissance du cerveau. Erhenberg considère que les neurosciences font l’impasse sur le social. Continuer la lecture de « Le cerveau n’a pas d’esprit »