Les premiers signataires
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" Les annonces de Nicolas Sarkozy le 2 décembre au centre hospitalier spécialisé Erasme à Antony sont dans une remarquable continuité avec ses différentes décisions prises depuis l’époque où il était ministre de l’intérieur : loi sur la prévention de la délinquance, amputée de ses articles portant sur les malades mentaux, mais finalement réintroduits dans leur essence dans la loi de rétention de sûreté[1], le fichier Edvige, et maintenant dans une loi sur l’hospitalisation psychiatrique. L’amalgame organisé depuis la loi du 30 juin 1838 entre ordre public et obligation de soins trouve aujourd’hui son achèvement en une identification du soin à la seule mesure d’ordre public au nom d’une dangerosité potentielle, et s’inscrit dans un ensemble liberticide.
Depuis environ 3 ans, à chaque victime exemplairement médiatisée répond une nouvelle loi répressive. Logique démagogique qui ose avec arrogance déclarer ne connaître que les droits de l’homme pour la victime et subordonner les droits des « autres » à leur dangerosité. Logique de juriste besogneux qui se doit d’étalonner le droit à une justice d’élimination. Logique de violence sociale qui condamne la psychiatrie à repérer, contrôler et parquer à vie les marginaux, déviants, malades, désignés potentiellement dangereux. Logique de l’abus rendu légal, enfin, puisque cette dangerosité n’est ni définie, ni précisément limitée, ouvrant la voie à une extension indéfinie des mesures qui la visent. Obsession qui transforme tout accident en événement intolérable, la moindre erreur en défaillance monstrueuse, légitimant des précautions sans cesse durcies et toujours condamnées à se durcir car on ne supprimera jamais la possibilité d’un risque. A terme, nous ne serions même pas dans la mise en place d’un système de défense sociale —historiquement institué et toujours présent dans de nombreux pays européens (Allemagne, Belgique, Italie, Pays Bas, …)— à côté d’un système de soins psychiatriques « civil », mais dans le formatage d’une flic-iatrie dans les murs d’un asile d’aliénés post-moderne comme dans la ville.
Sur ce point, nous tenons à alerter du danger les familles et leurs associations, les associations de patients et ex-patients. Le projet du président de la République n’est pas une obligation de soins ambulatoire, mais bel et bien une détention ambulatoire qui au plan des soins se résumerait à l’injection bimensuelle ou mensuelle d’un neuroleptique à action prolongée ou à la prise forcée d’un thymorégulateur, et qui au plan de la liberté individuelle placerait le sujet sous un régime de la liberté surveillée : tutelle à la personne, assignation à résidence, bracelet électronique, … ; tout cela sous l’égide des services préfectoraux, des services de psychiatrie publique … et de la famille. Pourquoi alors pour les soignants rechercher et travailler le consentement libre et éclairé ? Pourquoi pour les services de psychiatrie se mettre dans l’obligation (pour lui et son entourage) d’accueillir, d’écouter, de prendre soin, de soigner, d’accompagner un sujet souffrant, c’est-à-dire de le considérer dans sa dignité et sa singularité de personne, d’individu social, et de sujet de droit ? Disons aussi clairement aux usagers et à tous les citoyens que le soutien affiché par le chef de l’Etat à sa ministre de la santé pour son projet de loi HSPT (hôpital, santé, patients et territoire), son chantage public au soutien à ses réformes, confirme qu’il n’y a pas contradiction entre politique sécuritaire et politique de réduction des moyens pour la santé et le social. De plus, il semble aussi mettre fin à la psychiatrie de secteur comme psychiatrie généraliste dans la communauté comme les textes sur la nouvelle gouvernance le laissaient prévoir.
Que de vigilance obligée, que d’énergie perdue pour défendre les moyens existants face au bulldozer administratif et comptable. Pour les internés, nous savons : des moyens pour des cellules d’isolement, des unités pour malades difficiles, des vigiles et des caméras de surveillance. Pour les personnes qui seront soumises au traitement psychiatrique ambulatoire contraint (et elles seront beaucoup plus nombreuses que l es « sorties d’essai » prévues par la loi du 27 juin 1990) : Pour faire quoi et comment en dehors de la contrainte à la compliance des patients et d’une carcéralité ambulatoire, y compris pour des personnes n’ayant jamais fait l’objet d’une mesure de placement? Quels seraient les critères pour prendre une telle mesure ? La question de la levée d’une telle mesure fait également problème : la guérison ?
Que nous soyons contraints de répéter une fois de plus qu’il n’y a pas à assimiler crime ou délinquance et « maladie mentale », dangerosité et « maladie mentale », nous blesse professionnellement et politiquement au regard des décades de luttes et de pratiques de progrès dans le champ de la santé mentale. Que nous soyons contraints de répéter qu’il n’y a pas de risque zéro, que les politiques dites de « tolérance zéro » (pas davantage que les politiques de « défense sociale ») n’éliminent la dangerosité sociale, nous fait craindre que nous tendions —loi d’attaque sociale après loi d’élimination, outrances policières ou politiques après outrances policières ou politiques— au système décrit et dénoncé par Hannah Arendt : Le totalitarisme ne tend pas à soumettre les hommes à des règles despotiques, mais à un système dans lequel les hommes sont superflus (in Les origines du totalitarisme). Le type de pouvoir exécutif à l’œuvre ne laisse rien échapper, intervient sans cesse sur les professionnels pour les sanctionner et les corriger au moindre accident. Il conduit ceux-ci à l’excès de zèle pour prévenir les risques de ce qui n’est même plus excusé en tant que « bavures » ; au mieux, nous avons droit aux phrases compassionnelles du chef de l’Etat. La banalité du mal s’installe en même temps que les scandales s’accumulent : pour les « sans papiers », il faut faire du chiffre ; pour éduquer les collégiens contre la drogue, il faut faire une descente musclée de gendarmes ; pour que « justice soit faite », il faut l’affaire consternante du journaliste de Libération ou encore la menace de centres de rétention pour sdf récalcitrants.
Il ne s’agit donc guère de sagesse populaire et de vertu républicaine, mais bien d’une idéologie populiste et d’une politique sécuritaire dangereuses, qui dans le même temps poursuivent au pas de course la démolition des services publics et une politique de santé entrepreneuriale et de paupérisation.
Nous nous déclarons opposants résolus à cette idéologie et à cette politique. Nous déclarons que nous continuerons d’y résister concrètement et solidairement. Nous appelons tous ceux qui agissent à élaborer un manifeste constituant d’un front du refus ".
Contact : cedep.paris@wanadoo.fr
Signataires (à la date du 9 décembre 2008) :
Sophie Baron – Laforet, psychiatre praticien hospitalier, vice-présidente de l’ARTASS
Francine Bavay, vice présidente de la région Ile de France en charge des solidarités et du développement social – les Verts
Alain Buzaré, psychiatre praticien hospitalier, Angers
Alain Chabert, psychiatre responsable de service, Chambéry
Franck Chaumon, psychiatre praticien hospitalier, psychanalyste, Paris
Jean Danet, universitaire, Nantes
Gilles Devers, avocat, Lyon
Claude Olivier Doron, philosophe et anthropologue de la santé, Université Paris VII
Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des Droits de l’Homme
Hélène Franco, secrétaire générale du syndicat de la magistrature, juge pour enfants à Bobigny
Dominique Friard, vice-président du Serpsy, cadre de santé
Jean Furtos, psychiatre responsable de service, Directeur scientifique de l’ORSPERE / ONSMP
Claire Gekiere, psychiatre responsable de service, Union Syndicale de la Psychiatrie
Serge Klopp, cadre de santé, militant du PCF, Paris
Pénélope Komites, adjointe au maire du XIIème arrondissement en charge de l’action sociale – les Verts
Anik Kouba, psychologue clinicienne, Clichy sous bois-Montfermeil, CEDEP
Olivier Labouret, psychiatre responsable de service, Toulouse
Jean Claude Laumonier, responsable santé de la LCR, cqdre de santé retraité
Christian Laval, sociologue, Lyon
Anne-Marie Leyreloup, présidente du Serpsy
Claude Louzoun, psychiatre praticien hospitalier, président du CEDEP ; Union syndicale de la psychiatrie
Jean-Pierre Martin, psychiatre praticien hospitalier, vice-président du CEDEP ; Union syndicale de la Psychiatrie
Jacques Michel, professeur à l’Institut des sciences politiques, Lyon
Marie Napoli, présidente de l’Union Syndicale de la psychiatrie
Pierre Paresys, psychiatre responsable de service, Lille
Serge Portelli, vice-président du tribunal d’Evry, syndicat de la magistrature
Marie Rajaplat, vice-présidente du Serpsy
Pauline Rhenter, politologue, Groupe de recherches en sciences sociales Ville et santé mentale, Paris
Jean Vignes, secrétaire Fédération Sud santé sociaux
[1] Certains d’entre nous sont parmi les acteurs, soutiens et signataires des déclarations, pétitions, actions —dont la dernière en date : Non à la perpétuité sur ordonnance— contre les lois et actes liberticides qui ont cours en continu à l’heure actuelle.
DISCOURS DE M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
L’HOSPITALISATION EN MILIEU PSYCHIATRIQUE
Antony – Mardi 2 décembre 2008
Madame la Ministre, chère Roselyne,
Monsieur le Président du conseil général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Préfet,
Mesdames, Messieurs,
C’est la première fois, qu’un Président de la République rend visite au personnel d’un hôpital
psychiatrique. Je n’en tire aucune fierté personnelle. Je considère que faisant cela, je ne fais que mon devoir. Parce que vous accomplissez chaque jour une oeuvre remarquable au service de la société et si vous n’étiez pas là, bien peu nombreux seraient les volontaires pour faire votre travail. Vous travaillez dans un environnement rude pour prendre en charge des patients qui peuvent ne pas accepter les soins. Votre rôle est de guérir les maux de l’âme, les souffrances mentales qui sont sans doute les plus mystérieuses et les plus difficiles à traiter. Vos moyens d’agir, ce ne sont pas les IRM, les blocs opératoires, les prothèses : ce sont vos paroles, votre savoir faire dans la relation avec le patient, les
médicaments aussi.
Votre exercice professionnel et votre pratique sont à la fois riches et complexes. Votre métier, j’en suis bien conscient, comporte des risques. Votre travail vous apporte de grandes satisfactions quand un malade va mieux. Mais il y aussi l’agressivité, la violence, les réadmissions fréquentes de tous ces patients dont vous vous demandez si la place est bien ici. Je comprends fort bien que, certains jours, les difficultés de votre métier vous pèsent. Ces jours-là, quand vous ressentez ce poids, vous devez aller puiser dans l’amour de votre travail, la solidarité de vos collègues, la force de continuer.
Médecins, psychologues, infirmières, aides-soignantes, techniciens, agents de service, personnels administratifs en milieu psychiatrique, il n’y a aucune raison de cacher votre métier, vous êtes indispensables à la société, le rôle du chef de l’Etat, c’était d’abord de dire aux Français : regardez ces professions dont nous avons besoin. De tous les soignants, vous êtes sans doute ceux qui connaissent le plus intimement vos patients. Vous prodiguez des soins au long cours à des personnes qui, pour guérir, doivent pouvoir s’ouvrir à vous et aux autres. Etablir une relation personnelle entre vos patients et vous, c’est la clé. C’est ce qui fait l’extrême exigence de votre rôle. C’est ce qui en fait également sa noblesse.
J’ai voulu vous rendre hommage à vous, les personnels de l’hôpital psychiatrique, qui fait finalement peu parler de lui, l’hôpital psychiatrique qui est souvent incompris, l’hôpital psychiatrique qui est rarement reconnu. Lorsque l’on parle d’établissements d’excellence, on parle bien souvent d’autres établissements que des vôtres.
Comme notre société a besoin de vous, nous devons nous engager pour que l’on parle de vos établissements autrement qu’à l’occasion de faits divers qui mettent en cause les patients qui vous sont confiés. A mes yeux, ces faits divers ne remettent nullement en question votre compétence, votre dévouement, et les services que vous rendez à la société. Mais ces faits divers doivent nous interroger tous, moi compris, sur les lacunes que peut révéler notre système d’organisation et de fonctionnement de la prise en charge. Surtout lorsque des drames ne peuvent pas être imputés à la seule fatalité. C’est vraiment la maladie de notre temps, de tout expliquer par la fatalité : tout, la crise, les problèmes.
Non, C’est trop simple. On ne peut pas simplement dire : c’est la fatalité. Pourquoi être responsable si la fatalité explique tout ?
Vous vous souvenez tous du meurtre, dont on me parlait il y a quelques instants, commis il y a quelques jours à Grenoble sur une personne de 26 ans par un malade qui avait fugué de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève. Je veux adresser mes pensées à la famille de ce jeune homme. Et vous dire que j’ai été choqué par cette affaire. Voilà une personne –je veux dire le futur meurtrier- qui avait déjà commis plusieurs agressions très graves dans les murs et hors les murs ! Voilà une personne éminemment dangereuse qui bénéficiait pourtant de deux sorties d’essai par semaine ! Et j’entends dire que rien n’indiquait que cette personne pouvait à nouveau passer à l’acte, que rien n’avait été fait pour renforcer sa surveillance ? Et j’ai été choqué de ne pas entendre beaucoup de mots pour la famille de la victime.
Entendons-nous bien. La place des malades n’est pas en prison. Si on est malade, on va à l’hôpital. Et je trouve injuste la façon dont on parle, ou plutôt dont on ne parle pas, des hôpitaux psychiatriques.
Mon propos n’est pas de dire que la seule solution est l’enfermement. Surtout l’enfermement à vie. Mon propos n’est pas de dire que seuls comptent les risques pour la société et jamais le cas particulier du malade. Vous êtes du côté du malade mais si vous ne l’étiez pas, qui le serait ? C’est le rôle des praticiens. C’est le rôle des soignants que d’être en quelque sorte inconditionnels du malade et de sa guérison. Mais je ne peux pas, moi, me mettre sur le même plan. La Ministre ne peut pas se mettre sur le même plan. C’est dans la rencontre de nos deux responsabilités que l’on trouvera le bon équilibre.
Un schizophrène est, avant toute autre considération, une personne malade. Je mesure l’apport extraordinaire de la psychiatrie à la médecine d’aujourd’hui et la singularité de votre mission.
Il faut trouver un équilibre, que nous n’avons pas trouvé, entre la réinsertion du patient absolument nécessaire et la protection de la société. Dire cela ce n’est bafouer personne. Mon devoir c’est de protéger la société et nos compatriotes, de la même façon que les personnels. Parce que vous êtes les premiers au contact de cette violence éruptive, imprévisible et soudaine. L’espérance, parfois ténue, d’un retour à la vie normale, – j’ose le dire ici – ne peut pas primer en toutes circonstances sur la protection de nos concitoyens. Mettez-vous aussi à ma place. Je dois répondre à l’interrogation des familles des victimes que je reçois. Les malades potentiellement dangereux doivent être soumis à une
surveillance particulière afin d’empêcher un éventuel passage à l’acte. Et vous savez fort bien, mieux que moi, que des patients dont l’état s’est stabilisé pendant un certain temps peuvent soudainement devenir dangereux.
Cela pose la question des moyens. Il faut plus de sécurité et de protection dans les hôpitaux
psychiatriques. Cette protection, nous vous la devons d’abord à vous, qui êtes en première ligne. Aux familles, parce que les familles sont les premières à porter le risque quotidien de la dangerosité.
Je souhaite que plusieurs mesures soient mises en oeuvre à cette fin.
Nous allons d’abord, chère Roselyne BACHELOT, réaliser un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques. Et la Ministre de la santé a dégagé 30 millions d’euros. Ces investissements serviront à mieux contrôler les entrées et les sorties des établissements et à prévenir les fugues. Quand un patient hospitalisé d’office sort du périmètre autorisé par son médecin, l’équipe soignante doit en être informée tout de suite. Certains patients hospitalisés sans leur consentement seront équipés d’un dispositif de géo-localisation qui, si cela se produit, déclenche automatiquement une alerte.
Ce système est déjà utilisé à l’hôpital, par exemple dans les unités qui soignent des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Cela permettra de rassurer les personnels et d’alléger leurs tâches.
Par ailleurs, au moins une unité fermée va être installée dans chaque établissement qui le nécessite.
Ces unités seront équipées de portes et de systèmes de vidéosurveillance pour que les allées et venues y soient contrôlées.
Enfin, nous allons aménager 200 chambres d’isolement. Ces chambres à la sécurité renforcée sont destinées aux patients qui peuvent avoir des accès de violence envers le personnel.
La création d’unités fermées et de chambres d’isolement supplémentaires est une mesure dont je veux souligner l’importance. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que certaines personnes malades sont plus agressives que d’autres ; que certains patients ne sont pas faits pour l’hospitalisation conventionnelle sans pour autant relever des unités pour malades difficiles. Il manque, entre les deux, une prise en charge intermédiaire. C’est précisément ce vide que viendront combler les unités fermées et les chambres d’isolement.
Pour les malades les plus difficiles, nous allons, là aussi, renforcer le dispositif de prise en charge. Quatre unités supplémentaires pour malades difficiles de quarante lits chacune vont être créées. C’est une mesure, qui doit permettre aux personnels de travailler dans les conditions les plus appropriées à la spécificité de certains malades. C’est 40 millions d’euros d’investissement et 22 millions d’euros de fonctionnement en plus car, naturellement, il faut le personnel qui va avec ces nouvelles places.
L’Etat investira 70 millions d’euros -30 pour la sécurisation des établissements et 40 pour les unités pour malades difficiles. Et je souhaite que l’on aille plus loin. J’ai annoncé une réforme sanitaire des procédures de l’hospitalisation d’office. J’ai bien conscience que ce sont des sujets qu’il n’est pas raisonnable pour un Président de la République d’évoquer, m’a-t-on dit.
Pourquoi se mettre là-dedans ? Tout le monde s’est cassé les dents. Je vais me mettre là-dedans parce que c’est indispensable. Et, justement, parce que c’est difficile, c’est mon rôle de ne pas me cacher et de ne pas fuir les problèmes difficiles. Le drame de Grenoble ne doit pas se reproduire.
J’ai demandé à Roselyne BACHELOT, qui a toute ma confiance, de préparer un projet de loi.
Alors, vous me direz que le placement d’office ne concerne que 13% des hospitalisations. Mais ce sont celles qui exigent le plus de précautions, ce sont les plus difficiles. Là encore, je pense qu’un meilleur équilibre entre la réinsertion absolument nécessaire et la sécurité est nécessaire. Entre le tout angélique et le tout sécuritaire, est-ce que l’on ne peut pas se mettre autour d’une table pour trouver le bon équilibre, raisonnable, entre gens de bon sens ? Il faut réformer l’hospitalisation d’office pour concilier la qualité des soins et la sécurité des personnes.
Nous allons d’abord instaurer une obligation de soins en milieu psychiatrique. 80% de vos patients sont pris en charge en ville. De même qu’il existe l’hospitalisation sans consentement, il faut qu’il y ait des soins ambulatoires sans consentement. C’est l’intérêt même du patient et de sa famille.
L’obligation de soins doit être effective même en cas d’absence ou de défaut de la famille. On ne peut pas laisser seul un patient qui a un besoin manifeste de soins et qui peut, parfois, refuser de s’y soumettre.
Je connais bien le principe : nul ne peut être soigné sans son consentement. Encore faut-il que son consentement soit lucide. Vaste débat, me direz-vous, mais j’ai des obligations de résultats vis-à-vis de la société. Peut-on laisser des gens qui ont besoin d’être soignés sans être soignés, simplement pour la liberté qu’ils peuvent avoir de se détruire ? Ayons ce débat.
Moi je pense que c’est de la non assistance à personne en danger. Mais j’accepte bien volontiers qu’on discute, mais discutons-en vraiment, allons jusqu’au bout de la discussion. Les sorties de patients, absolument indispensables, doivent être davantage encadrées. La décision d’autoriser une personne hospitalisée d’office à sortir de son établissement ne peut pas être prise à la légère. Je ne dis pas qu’elle est prise à la légère. Vous avez des convictions j’en ai aussi. Je dis que la décision de sortie est une décision qu’on ne peut pas prendre à la légère. Elle ne l’est pas, tant mieux.
Mais allons plus loin, c’est une décision qui est lourde de conséquences. Je réfléchis à un système ou le préfet doit prendre ses responsabilités. Pourquoi le préfet ? Parce que c’est le représentant de l’Etat. En cas de sortie d’essai ou définitive, il doit y avoir un avis rendu par un collège de trois soignants : le psychiatre qui suit le patient, le cadre infirmier qui connaît la personne, ses habitudes et un psychiatre qui ne suit pas le patient. Et les psychiatres libéraux doivent pouvoir en faire partie. L’exercice collégial est la clé de la réforme. L’avis des experts est indispensable, mais je veux poser la question les experts. Les experts donnent leur avis mais la décision, ce doit être l’Etat, ou dans certains cas la
justice, mais pas l’expert. Je ne suis pas pour une société d’experts : les experts en comptabilité, les experts en bâtiment, les experts en médecine, les experts encore toujours.
Mais il y a un Etat, une justice, qui doivent trouve un équilibre entre des intérêts contradictoires et des points de vue contradictoires. Et le patricien doit pouvoir donner son avis de patricien : à son avis, cette personne est-elle capable de sortir, en a-t-elle besoin pour être soignée. Cette appréciation là, cette conviction là, sont parfaitement nécessaires et respectables, mais il faut qu’elles soient confrontées à une autre appréciation, celle de celui qui a à garantir l’ordre public et la sécurité des autres. Et c’est dans la rencontre entre ces deux points de vue, le point de vue de celui qui soigne le patient et le point de vue
de celui qui a la charge de l’ordre public qu’on peut trouver le bon équilibre. Et le préfet est là pour représenter l’Etat.
Je ne veux plus que les préfets décident de façon aveugle, automatique. Quand il y a un drame, chacun se renvoie la responsabilité et au fond trop de responsables tuent la responsabilité. Je veux qu’ils engagent leur responsabilité en connaissance de cause
Enfin, le Gouvernement s’assurera que les informations administratives sur les hospitalisations d’office soient partagées entre tous les départements avec un secret médical respecté de la façon la plus stricte.
Je voudrais vous dire que l’hôpital psychiatrique, c’est, à mes yeux, d’abord et avant tout d’un hôpital.
Il faut une grande ambition pour nos établissements psychiatriques qui doivent être considérés comme une composante à part entière du service public de l’hospitalisation. Je souhaite que vous soyez davantage concernés par la réforme de l’hôpital et mieux impliqués dans sa mise en oeuvre. Cette réforme, elle est aussi faite pour vous.
Et si la question de l’organisation et des ressources de l’hôpital psychiatrique se pose, alors nous devons, avec votre ministre, la poser sans tabou. Et c’est pour moi une priorité.
Grâce au plan de santé mentale 2005-2008, les moyens de fonctionnement alloués au secteur public ont progressé d’un peu plus d’un milliard d’euros entre 2004 et 2008. 3 000 postes de médecins et de soignants ont été créés. Le nombre de lits d’hospitalisation est resté stable depuis 2004, alors même que la prise en charge ambulatoire s’est développée, ce qui est heureux.
Un plan d’investissement important, en plus de celui que je viens de vous annoncer, est en cours. 342 opérations de modernisation doivent être réalisées entre 2006 et 2010 pour un montant total d’1,5 milliard d’euros.
Je le dis au ministre de la Santé, s’il apparaît qu’il faut investir davantage, nous investirons davantage. S’il faut accélérer certains projets, nous les accélérerons. J’y suis prêt. Mais je le dis aux praticiens que vous êtes, des moyens supplémentaires, oui, mais des réformes aussi : les deux vont de pair. Des moyens supplémentaires au service d’une politique de réforme : pas d’immobilisme dans ce secteur non plus.
Il faut que l’hôpital psychiatrique – allez, j’ose le mot – ait un patron, et un seul, qui ait le pouvoir de dire oui, de décider et d’agir. Il faut aussi que l’hôpital psychiatrique coopère davantage avec les autres acteurs de l’offre de soins, pour mieux gérer les urgences et pour rendre le parcours du patient plus fluide. Il est enfin important, essentiel, d’accroître l’attractivité de vos métiers et de vos carrières.
C’est un problème majeur dans notre pays. Vous avez un pays passionnant mais extrêmement exigeant. Il faut que l’on renforce l’attractivité de vos métiers et de vos carrières, tout en développant les passerelles avec les autres établissements de santé pour qu’il n’y ait pas de ghetto. Je vois bien les avantages de la spécialisation mais je crains la ghettoïsation, tellement facile dans notre pays.
Permettez-moi d’adresser un message particulier aux directeurs d’hôpitaux, qui sont au coeur de la réforme de l’hôpital que j’ai voulue avec Roselyne BACHELOT. Je leur fais confiance. J’ai de l’estime pour le travail remarquable qui est le leur. Mais pourquoi dis-je qu’il faut un patron à l’hôpital ? Parce qu’aucune structure humaine ne peut fonctionner sans un animateur. Et à l’hôpital, il y a tant d’intérêts contradictoires et de tensions. On est dans un système où tous peuvent dire non, personne ne peut dire oui. Celui qui a le plus petit pouvoir peut empêcher de faire une petite chose.
Mais celui qui a le plus grand pouvoir ne peut pas permettre de faire une petite chose. Le pouvoir de dire non, en fait, existe et le pouvoir de dire oui, non. Parce que chaque pouvoir équilibre l’autre dans un mouvement de paralysie quasi-générale. Je préfère de beaucoup qu’il y ait un vrai animateur, un vrai patron animateur et responsable, qui écoute tout ce qu’on lui dit, je pense notamment aux avis indispensables des médecins, qui prend des décisions et qui assume les responsabilités si cela ne va pas. C’est un système clair.
Vous le voyez, il n’est pas question que la psychiatrie soit oubliée ou négligée. Notre pays a besoin d’une hospitalisation psychiatrique qui soigne et guérit, une hospitalisation psychiatrique en progrès, où le bien-être des malades et des personnels doit être pris en compte et amélioré. Nous avons besoin d’une hospitalisation psychiatrique qui protège, et en même temps qui soit plus transparente. Ce n’est pas mystérieux ce qui se passe ici. Il ne faut pas avoir peur de la psychiatrie et de l’hôpital psychiatrique. C’est un besoin. C’est une nécessité. Et le fait que j’ai voulu venir ici, c’est pour montrer aux Français qu’ici il y a des femmes et des hommes qui travaillent avec passion, avec compétence, avec dévouement et qu’on a besoin d’eux. On n’a pas besoin de changer de trottoir quand on passe à côté d’un hôpital psychiatrique. La maladie psychiatrique, cela peut arriver à tout le monde
dans toutes les familles.
Par ailleurs, et je terminerai par cela, c’est trop important pour qu’on ait des débats d’école, de secte, d’idéologie. Il n’y a pas d’un côté ceux qui ont raison sur tout, moi compris, et ceux qui ont tort de l’autre côté sur tout. Il y a une nécessité de progresser. Des moyens supplémentaires, mais aussi une réforme. Une réforme pour que vous puissiez travailler mieux et que nous ayons moins de drames, comme ceux que nous avons connus. Parce que les premiers qui sont traumatisés, c’est le personnel, ce sont les médecins, dans un cas comme dans l’autre.
Voilà, Mesdames et Messieurs, j’espère que vous avez compris, pour moi, ces quelques heures passées dans votre établissement, ce n’était pas une visite comme les autres. Je voudrais vous dire combien je respecte le travail qui est le vôtre et le choix de carrière qui a été le vôtre. Parce que, j’imagine que, y compris dans votre entourage familial et personnel, il doit falloir passer du temps pour expliquer ce que vous faites et pourquoi vous le faites avec tant de passion. Et enfin, je comprends parfaitement que le malade est une personne dans toute sa dignité et que sa maladie ne fait que le rendre plus humain
encore, qu’un hôpital ne sera jamais une prison. Mais en même temps, des malades en prison, c’est un scandale. Mais des gens dangereux dans la rue, c’est un scandale aussi. Je veux dire les deux choses et qu’on ne vienne pas me dire que c’est un cas de temps en temps. Parce que si c’était nous, un membre de notre famille, on ne dirait pas cela. Donc, il va falloir faire évoluer une partie de l’hôpital psychiatrique pour tenir compte de cette trilogie : la prison, la rue, l’hôpital, et trouvez le bon équilibre et le bon compromis.
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de votre attention et de votre accueil.