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Le sexe, le savoir et le pouvoir s’enchevêtrent inextricablement. La science et la psychanalyse tentent, chacune à sa manière, de démêler cet écheveau où tous s’embrouillent. Ce qui noue ces trois termes, ce sont d’abord le langage et l’écriture.
Le savoir s’appuie sur le langage et l’écriture mathématique a été le médium principal du triomphe de la science moderne. Il n’y aurait ni informatique ni biologie sans les langages formels et leurs « petites lettres ».
Le pouvoir n’est pas pensable hors l’usage du signifiant. Lacan en tient compte avec son concept du « signifiant maître » qui est à la fois le signifiant qui représente le sujet et un signifiant au service de l’ordre dominant. La psychanalyse vise, dans sa pratique, à produire ce signifiant traumatique refoulé dans l’inconscient, pour désamorcer son emprise sur le sujet.
Il est moins aisé d’expliquer en quoi le troisième terme, le sexe, est lié au langage. Sans vouloir anticiper sur les lumières qu’apportera notre colloque pour répondre à cette question, nous dirons simplement ceci : S’il ne suffit pas de dire comme Freud que « l’anatomie, c’est le destin », c’est parce que la différence sexuelle ne se supporte pas seulement des caractères sexuels primaires et secondaires du corps. Les hommes et les femmes se rapportent avant tout de façon différente au langage. Cela implique qu’une femme ou un homme est libre de choisir son sexe malgré l’anatomie de son corps. Mais cela ne veut pas dire qu’il ou elle en fasse abstraction. Ils en jouent parfois. Or tout choix repose sur un acte de langage. Le signifiant nous accorde ainsi une marge de liberté. En 1958, Lacan écrit que l’être parlant doit passer par la menace de castration pour assumer son sexe. Comme cette menace ne saurait faire l’économie des mots, qu’elle est donc symbolique, chaque sujet peut y répondre à sa façon. Les femmes y répondent d’une façon différente des hommes : elles ne se rangent pas à part entière dans le domaine défini par la fonction phallique, censée soumettre tout un chacun à sa législation castratrice.
Sexe, savoir et pouvoir partagent encore le fait qu’ils nous dépassent et que nous ne pouvons pas nous en passer. De même que le pouvoir sans justice dégénère en violence, la justice sans pouvoir est impuissante. La détention du pouvoir pose néanmoins problème. Ainsi le partage du pouvoir dans les démocraties correspond il moins à une sagesse qu’à un calcul, car sa concentration dans la main d’un dictateur ou d’une oligarchie conduit toujours à la ruine d’un pays.
Le savoir, en lui-même illimité, montre toutefois à l’homme ses limites. Nul ne le possède dans sa totalité, même s’il est savant et érudit. Nul n’accède au savoir absolu. C’est parce que le savoir ne connaît pas de limites que tout ne peut pas se savoir.
Que nos trois concepts dépendent donc chacun de l’autre n’empêche pas qu’on ait envie de donner au savoir le privilège de prendre le dessus sur les deux autres. La philosophie a sans doute apporté un savoir sur le pouvoir politique et on ne peut nier que Freud, ses hystériques et leurs successeurs, aient produit un savoir sur le sexe. Mais un savoir peut-il exister sans pouvoir ? Cela serait-il pensable ? Lacan n’a-t-il pas dénoncé dès son « Discours de Rome » (1953) l’inconséquence des analystes qui, effrayés par la « figure de leur pouvoir », s’en détournent dans leur action même quand cette figure se montre à nu ? Lacan n’a-t-il pas remis le pouvoir à sa place dans la psychanalyse grâce à son écrit « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » puis, plus tard, dans sa théorie des « quatre discours » où le pouvoir s’inscrit à la place de l’agent du
discours ?
Quant au sexe, il participe bien à la production des savoirs par le biais de la libido, que celle-ci agisse comme un moteur de la sublimation ou à l’intérieur d’un symptôme créateur, d’un « sinthome » ! Lacan distingue deux catégories de savoirs : le savoir dans le réel que le scientifique « a à loger » dans ses formules et le savoir de l’inconscient que le psychanalyste loge à une autre place, en tenant compte du savoir dans le réel et de ses effets sur l’être humain. Ce qui « passe » à l’inconscient n’est pas le sexe refoulé mais les bribes d’un savoir sur une expérience de jouissance sexuelle, bribes que le sujet n’a pu articuler. C’est ce « trognon de savoir », enkysté dans un symptôme, que le psychanalyste cherche à libérer par son interprétation.
Notre colloque interrogera donc les symptômes inquiétants qui se font jour dans notre société. On observe en effet une irresponsabilité grandissante au niveau politique, un vide du pouvoir décisionnaire, qui sont à l’origine de catastrophes toujours plus nombreuses au niveau de la santé, de l’environnement et de la stabilité économique. On croit pouvoir détourner l’attention de ce vide de pouvoir réel par les gesticulations du « tout sécuritaire », par la désignation de l’immigré comme bouc émissaire de la faillite économique, ainsi que par un souci de « pureté nationale », afin d’endiguer les poussées de fièvre qui font le bonheur de l’extrême droite. Les médias se font le support de l’hypocrisie ambiante dans leur discours sur le sexe : d’une part, on importe en France, à la suite de « l’affaire DSK », le puritanisme à l’américaine, croyant pouvoir ainsi faire face aux impasses sexuelles de notre époque. D’autre part, on ferme les yeux face aux
dérives de la jouissance liées aux sites pornographiques qui rapportent beaucoup d’argent. Or, la jouissance virtuelle cache mal les ravages de la misère sexuelle et permet d’éviter le risque de la rencontre réelle. Mais on ne dit pas assez que l’accès à cette jouissance industrialisée écrase le fantasme et se paie par l’augmentation des agressions sexuelles.
Ce colloque mettra à l’épreuve la théorie et la clinique analytiques contemporaines : comment la clinique analytique affronte-elle ce qui nous dépasse dans le sexe, le savoir et le pouvoir, pour les apprivoiser ? Quelles évolutions de la théorie nous permettent-elles de nous orienter dans l’écheveau formé par ces trois concepts ?
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Samedi 21 janvier 2012
Skema de Lille, avenue Willy Brandt, 59000 Lille (Euralille), Amphi B
9:15 : Ouverture du Colloque par Isabelle Baldet, Psychanalyste, Secrétaire de l’ALEPH
Lecture d’un texte de Martine Aubry rédigé pour le 13e Colloque de l’ALEPH.
9:30-11 : présidence Bénédicte Vidaillet, Maître de conférences à l’université de Lille 1
Laurent Le Vaguerèse
— Rafah Nached
Le 10 septembre la psychanalyste syrienne Rafah Nached disparaît à l’aéroport de Damas, alors qu’elle s’apprêtait, accompagnée par son mari le professeur et historien Faysal Abdallah, à embarquer pour Paris où sa fille réside et est sur le point d’accoucher. Un mail de Sophie de Mijolla, Directrice de laboratoire à Paris VII, qui avait été l’une de ses enseignantes lorsqu’elle faisait ses études de psychologie à Paris et avec laquelle elle avait organisé plus tard deux journées de rencontre autour de la psychanalyse en Syrie, me l’apprend. Elle me demande de diffuser la nouvelle. Je ne connais pas Rafah Nached et je n’ai pas d’intérêt particulier pour ce pays. Le 16 Novembre, soit un peu plus de deux mois plus tard, j’apprends sa libération par Houriya Abdelouahed, une de ses amies qui enseigne à Paris VII et qui est en lien avec ses proches et le groupe qui s’est constitué autour de Rafah Nached. Elle est en bonne santé mais son passeport lui a été retiré et dès le lendemain comme elle souhaitait entrer en contact avec les détenues avec lesquelles elle avait été emprisonnée, elle reçoit un avertissement des forces de sécurité. Quelques jours plus tard, je reçois un appel téléphonique et j’entends pour la première fois la voix de Rafah Nached qui me remercie ainsi que tous ceux qui ont œuvré à sa libération. La voix est claire et assurée mais l’entretien est bref. Je sens que chaque mot est pesé. Entre temps, c’est à dire dans l’espace d’un peu plus de deux mois, le nom de Rafah Nached a circulé dans le monde entier, les psychanalystes de tous horizons et pas uniquement eux, ont appris son existence ainsi que son emprisonnement, une immense chaîne de solidarité s’est mise en place, et pour la première fois depuis 50 ans les psychanalystes de tous bords lacaniens et non lacaniens ont acceptés de siéger ensemble au Comité de Soutien.
Malgré la crise financière en Europe et dans le monde, les médias se sont tournés vers ce petit pays soumis à la répression implacable d’un régime aux abois, dirigé par un médecin formé à Londres dans les meilleures universités et qui tarde à tomber. C’est cette histoire et surtout les enseignements que j’ai pu en tirer que je souhaite partager avec vous.
Laurent Le Vaguerèse, Psychiatre, Psychanalyste à Paris, responsable du site Internet Oedipe.org, coordonne également le Prix Œdipe qui est remis chaque année à un auteur ayant publié dans l’année un livre original sur le thème de la psychanalyse.
Franz Kaltenbeck
— Perversion et psychose dans « Kant avec Sade »
Répondre à la question de savoir comment la perversion et la psychose se situent l’une par rapport à l’autre est nécessaire pour éclairer ces deux structures cliniques. Si la perversion évolue sous le régime logique du déni (de la castration) et la psychose sous celui de la forclusion (du Nom-du-Père et/ou du phallus) il est clair que ces deux structures ne se confondent pas. Un pervers ne rejette ni le père ni le phallus. Mais un psychotique peut trouver dans une perversion une assise qui ne se réduit pas aux« traits de perversion » toujours présents dans les fantasmes des névrosés. Un psychotique peut agir comme un pervers, s’habiller en pervers, jouer dans un scénario pervers. Selon Freud, la perversion est le négatif de l’hystérie. Pourrait-on affirmer que la perversion propose une scène pour la psychose ? Que la perversion ne se transforme pas en psychose ne rend pas pour autant le pervers insensible aux phénomènes psychotiques. Comme nous le verrons, dans l’écrit « Kant avec Sade » (1963) de Lacan, la perversion croise trois fois les voies de la psychose. Un pervers ne devient pas fou ni un fou pervers, et pourtant ni la perversion ni la psychose ne sont étanches l’une par rapport à l’autre. Les passerelles qui mènent de l’une à l’autre peuvent entraîner tel sujet au crime sexuel et tel autre à une création sublime…
Franz Kaltenbeck, psychanalyste à Paris, Lille et au Service Médico-Psychologique Régional (SMPR) de la Maison d’Arrêt de Lille (Sequedin), Centre Hospitalier Régional, Université de Lille, enseigne la théorie et la clinique de la psychanalyse à Paris et à Lille dans le cadre de Savoirs et clinique, une association de formation permanente et au séminaire « Psychanalyse et criminologie » du SMPR de Lille. Il est le rédacteur en chef de Savoirs et clinique. Revue de psychanalyse et l’auteur de nombreux articles de psychanalyse et de critique littéraire ainsi que du livre Reinhard Priessnitz. Der stille Rebelle, Literaturverlag Droschl, Graz, Vienne, 2006. Le livreSigmund Freud. Immer noch Unbehagen in der Kulture, diaphanes, Berlin, Zürich, 2009 est paru sous sa direction. Pause
11:15-13:15 : Présidence Sylvie Boudailliez, Psychanalyste.
Bruno Nassim Aboudrar
— Dévastation : l’ombre du phallus
Une conception très ancienne du pouvoir qualifie celui-ci de terrible, le considérant en sa puissance, c’est-à-dire en l’inéluctabilité de ses effets : terreur et dévastation. La peur extrême ressentie alors étend l’esprit sur la terre, tandis que les destructions (incendies, pillages, plus tard, bombes), ramènent la terre elle-même à sa qualité originelle la plus inquiétante, le vaste, dont la culture, sillons et clôtures, est l’exact opposé. Sujets du sexe, les corps, et particulièrement mais non seulement ceux des femmes, subissent une dévastation comparable et associée (viols, famines, épidémies) qui les évide. Ce qui s’abat alors sur la terre et son peuplement – le fléau – échappe sur le moment au savoir humain, parce qu’il ne se connaît qu’en ses effets, et comme une ombre portée ou une fulguration qui aveugle. Ma communication se propose d’évoquer, et si possible de mettre en relation, des avatars très divers de cette figure du pouvoir dévastateur, le plus souvent empruntés à des artistes aussi incomparables entre eux (sinon par ce rapport qu’ils modalisent entre sexe, savoir et pouvoir) qu’Antoine Caron, Francisco Goya, Anna Mendieta ou David Nebreda.
Bruno Nassim Aboudrar, PR2 HDR – Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 -EA 185 – Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (IRCAV) Département : Médiation Culturelle -ED 267 – Arts & Médias. Publications : , Nous n’irons plus au musée, Aubier Montaigne (23 mai 1997), Voir les fous Presses Universitaires de France (PUF) (31 juillet 2000) La recherche du beau Pleins feux (juin 2001), Les passions de l’âge classique : Tome 2, Théories et critiques des passions (Presses Universitaires de France – PUF (7 août 2006) Pierre-François Moreau (Auteur), Bruno-Nassim Aboudrar (Auteur), Stefano Di Bella (Auteur), Collectif (Auteur), Ici-bas, (Gallimard 2009)
Geneviève Morel
— Vivons-nous dans une ère post-phallique ?
La passion contemporaine pour les logos et la consommation massive de contrefaçons de marques de luxe, notamment dans la mode, m’amènera, en m’appuyant sur la conception lacanienne du sexe, à examiner l’hypothèse d’un fétichisme de masse dans une ère dorénavant post-phallique.
Geneviève Morel, Psychanalyste à Paris et à Lille, ancienne élève de l’ENS, agrégée de l’Université (mathématiques), docteur en psychologie clinique et psychopathologie. Auteur de : Ambiguïtés sexuelles. Sexuations et psychose, Anthropos Economica, 2000, Clinique du suicide (sous la dir. de), Erès, 2002 (poche en 2010), L’œuvre de Freud. L’invention de la psychanalyse, Bréal, 2006 ; La loi de la mère. Essai sur le sinthome sexuel, Anthropos Economica, 2008, Pantallas y suenos. Ensayos psicoanaliticos sobre la imagen en movimiento, Barcelona, ediciones S&P, 2011,Sexual Ambiguity, London, Karnak Book, 2011. Enseignante à « Savoirs et clinique » à Lille et à Paris, présidente du Collège de Psychanalystes d’A.l.e.p.h. Pause déjeuner
15-16:30 : Présidence, Catherine Adins, Psychiatre, Chef de service à la maison d’arrêt de Lille- Sequedin
Marcela Iacub
— Féminisme et domination sexuelle
Marcela Iacub est juriste de formation, chercheuse au CNRS et auteure de nombreux ouvrages : Juger la vie (avec Pierre Jouannet), La Découverte, 2001, Le crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Flammarion, 2002, Penser les droits de la naissance, PUF, 2002, Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle ?, Flammarion, 2002, L’Empire du ventre : Pour une autre histoire de la maternité, Fayard, 2004, Antimanuel d’éducation sexuelle (avec Patrice Maniglier), Bréal, 2005, Bêtes et victimes et autres chroniques de Libération, Stock, 2005, Aimer tue, Stock, 2005, Une journée dans la vie de Lionel Jospin, Fayard, 2006, De La Pornographie En Amérique – La Liberté D’expression À L’âge De La Démocratie Délibérative Fayard 07/04/2010, Par le trou de la serrure. Une histoire de la pudeur publique, XIX-XXIe siècle, Fayard, 2008, Confessions D’une Mangeuse De Viande, Fayard, 2011.
Élise Pestre
— La violence politique exercée à l’encontre du sujet réfugié
Pour échapper à sa mise en péril et aux persécutions dont il a fait l’objet dans son pays, le demandeur d’asile doit trouver l’hospitalité sur une nouvelle terre d’accueil. Pourtant, la politique de soupçon mené aujourd’hui à l’égard de tous les migrants, amène les institutions qui statuent sur la demande d’asile, à remettre en question leurs allégations, doutes qui se traduisent le plus souvent par le rejet de la demande d’asile. Que produit ce « non » souverain chez le sujet en quête de refuge? Le signifiant rejet a le pouvoir d’infiltrer la capacité narrative des réfugiés traumatisés, et de les conduire, le cas échéant, à la création de témoignages malades. La rencontre avec le sexuel est bien souvent à l’origine de ces récits « mi-vrais, mi-fictifs », compositions hybrides qui continueront d’alimenter la nudité juridique du sujet. Même si la reconnaissance du politique à l’égard de ses requêtes n’a pas le pouvoir de suppléer en intégralité les attaques narcissiques dont le réfugié a fait l’objet, pour autant, elle participe d’une possible reconstruction et d’un frein à la répétition traumatique en jeu.
Élise Pestre, Maître de conférences à Paris 7 (Denis-Diderot), membre du laboratoire CRPMS (Centre de Recherches Médecine Psychanalyse et Société), Psychologue clinicienne, auteur du livre La vie psychique des réfugiés. (Payot & Rivages, 2010)
Pause
16:45-18 : Présidence, Lucile Charliac, Psychanalyste
Diane Watteau
— Ne me touche plus ou Rien ne va plus entre sexe, pouvoir et savoir.
Qu’est devenu le corps dans l’art contemporain ? Réduit à ses actions, à des micro-actions ou des micro-récits qui visent à réparer un lien social qui aurait disparu, le corps s’engage comme un objet de rigolade, le corps se fragmente comme moments de sexualités subis ou agressifs, quand il n’est pas un corps jouant au politique, un bio-corps ou un corps ironique. Dans notre société post-spectaculaire, du tout-contrôlable, du tout-évaluable, être vu devient un signe de pouvoir qui a déjoué le panoptique de Foucault. Nous tenterons de montrer que les liaisons entre les trois termes Sexe, pouvoir, savoir dans la représentation des rapports entre les corps masculins et féminins ne cessent de se dénouer, de se renouer autour du tact et de la vue. Depuis la figure de « notre » grande malade Camille Claudel (qui veut tout nouer ensemble) jusqu’à la paralysie dans d’autres démarches artistiques (rien ne tient plus ensemble) nous nous attarderons sur une reterritorialisation violente d’un corps comme promesse grâce à Sigalit Landau.
Diane Watteau (1961, Paris) est peintre, critique d’art (AICA), agrégée et maître de conférences en arts plastiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (2011) et à Paul Valéry de Montpellier III (2001-2010), commissaire d’exposition indépendante (Cadavres exquis au Musée Granet d’Aix en Provence, projet euroméditerranéen Marseilles 2013 – Conversations intimes, Musée de Beauvais, 2010). Elle a publié Vivre l’intime dans l’art contemporain, dir d’édition (Thalia, 2010), La saleté d’Artémis-avec PA Gette (Dedans-Dehors, 2005), Conversation avec Watteau (L’Harmattan, 2001), Comment se débarrasser d’Antojne Watteau, Septentrion, 1996 . Elle montre ses enveloppes Film W, exposition personnelle, bibliothèque des Beaux Arts de Tourcoing, 2011. Ses recherches pratiques et théoriques concernent la question de la définition de l’Intime dans l’art aujourd’hui. Membre du comité de rédaction de la Revue de psychanalyse « Savoirs et clinique », ALEPH, Lille.
Michael Meyer zum Wischen
— Nathalie Granger ou l’inquiétante étrangeté de la maison des femmes.
En 1972, Marguerite Duras écrivit le scénario d’un film intitulé „Nathalie Granger“. La même année, Jacques Lacan commença son séminaire novateur «Encore» sur la sexualité féminine. Il est frappant que Marguerite Duras, qui tourna le film dans sa propre maison, en vint à la qualifier en employant des mots comme «étrange» et «inquiétante».
On se rappelle le concept de «Unheimlichkeit» que forgea Sigmund Freud en 1919. Ce terme fut traduit en français par «inquiétante étrangeté». Mot qui ne rend pas compte de l’ambiguïté du mot „Heim“ en allemand, lequel renvoie aussi bien au familier (heimisch) qu’à une menace cachée (heimlich). Freud lia ce „Heim“ aussi avec le lieu de l’origine de l’homme (« Heimat»), le génital féminin. C’est à ce point où Freud s’arrêta, sans développer une théorie spécifique de la sexualité féminine, que Lacan reprit les choses et décrivit une jouissance féminine au delà de la jouissance phallique.
Cet article essaie, en se servant du scénario de Marguerite Duras, d’approfondir le concept freudien d’ «inquiétante étrangeté» eu égard aux élaborations du dernier Lacan.
Quant aux femmes, Duras parle «de cette fonction, submergeante, d’enfouissement du discours en un lieu où il s’annule, se tait, se supprime». On peut comparer cette phrase à une énonciation de Lacan dans «Encore» où il dit: «S’il y en avait une autre, mais il n’y en a pas d’autre que la jouissance phallique – sauf celle sur laquelle la femme ne souffle mot, peut-être parce qu’elle ne la connaît pas, celle qui la fait pas-toute.» Dans ce contexte, il faut remarquer que la traduction anglaise du mot allemand «unheimlich» est «uncanny». Ce terme a comme racine le mot «ken», ce qui veut dire «savoir». La jouissance sur laquelle les femmes (et surtout les femmes chez Duras) se taisent est située au-delà d’un discours et d’un savoir phallique.
Michael Meyer zum Wischen, psychanalyste à Cologne et à Paris, a écrit des articles sur la question du traitement de la psychose, sur l’œuvre de Marguerite Duras et Hilda Doolittle. Il est membre de l’ALEPH et du Collège de psychanalystes de l’ALEPH. Il a fondé l’Académie psychanalytique Jacques Lacan à Cologne (KAPJL) et une revue psychanalytique „Y“ (Berlin).
Discutants : Anne Adens, Catherine Adins, Bruno Nassim Aboudrar, Isabelle Baldet, Sylvie Boudailliez, Michel Candas, Lucile Charliac, Jean-Claude Duhamel, Sylvette Ego, Emmanuel Fleury, Thérèse Hulot, Marcela Iacub, Franz Kaltenbeck, Jean-Paul Kornobis, Brigitte Lemonnier, Éric Le Toullec, Geneviève Morel, Sylvie Nève, Élise Pestre, Philippe Sastre-Garau, Monique Vanneufville, Martine Vers, Antoine Verstraet, Bénédicte Vidaillet.