Non à la perpétuité sur ordonnance !

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La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté fait rupture dans notre tradition juridique. Elle permet l’incarcération dans des établissements spéciaux de personnes condamnées qui, bien qu’ayant purgé leur peine, seront privées de liberté du fait de leur « particulière dangerosité ». Pour la première fois dans notre droit, des individus pourront être enfermés sur décision judiciaire non pour sanctionner des actes délictueux ou criminels, mais pour anticiper des actes qu’ils n’ont pas commis ! A juste titre, Robert Badinter a dénoncé dans cette loi une rupture majeure avec les principes fondamentaux de notre justice pénale.

Cette loi fait également rupture dans la tradition et l’éthique médicales, car c’est l’expertise médico-psychologique qui devient l’élément clé du dispositif pour décider de cette mesure de sûreté. Alors que sa mission est de porter secours et de soigner, la médecine se trouve ici instrumentalisée dans une logique de surveillance et de séquestration. C’est le savoir psychiatrique qui légitimera l’incarcération d’individus au motif d’un diagnostic de « particulière dangerosité ». La privation de liberté est ainsi parée des habits de la science, comme si le savoir des experts permettait de prédire les actes criminels d’une personne.

C’est une mystification et une confusion organisée des registres.
Une mystification car il est faux que l’on puisse prédire, pour un individu donné, les actes à venir. L’usage que l’on fait à cet égard des statistiques concernant la récidive est une duperie, car ces chiffres concernent des populations, non des individus. Or c’est bien de la liberté d’un individu qu’il s’agit.
C’est une confusion que de demander à des soignants d’occuper cette place, car leur fonction, leur déontologie et leur éthique les situent du côté de la personne, ses libertés et ses contraintes, non de l’ordre public désincarné. Cette séparation fondamentale est une garantie essentielle des libertés, contre la tentation de faire le bien de chacun contre lui-même. La psychiatrie est familière de ces dérives : faut-il rappeler qu’il y eut des internements pour motifs politiques ?

La monstruosité de certains crimes et la souffrance terrible des victimes, dont chacun est saisi, sont utilisées pour aveugler la raison et céder aux politiques prétendument efficaces. C’est une manœuvre démagogique. On sait par avance que cette politique ne résoudra en rien le problème des criminels récidivants. Par contre ce dont on est sûr, c’est que ce dispositif, d’abord destiné à des populations restreintes s’étendra progressivement, au nom du principe de précaution. Ce fut le cas des mesures d’obligation aux soins, initialement destinées aux agresseurs sexuels, et qui sont aujourd’hui appliquées à une part croissante de personnes condamnées, quel que soit leur acte.
En assimilant le crime et la maladie – ce qui est une idéologie, et non pas un fait – on déplace progressivement la gestion de la peine vers la médecine, réalisant progressivement une société de sûreté médicale.

Au nom de notre éthique et de la nécessaire séparation des domaines, garante des libertés, nous, professionnels de la psychiatrie, déclarons publiquement refuser de participer à la mise en place de ce dispositif de rétention de sûreté. Parce que la psychiatrie n’est pas l’affaire des seuls psychiatres, chacun, concerné par ce refus, manifeste son soutien en signant et en faisant signer cet appel.

Premiers signataires

Association Pratiques de la folie – Alain ABRIEU, psychiatre de secteur, chef de service, président de l’AMPI (Association Méditerranéenne de Psychothérapie Institutionnelle) – Jean ALLOUCH, psychanalyste, Paris – Elsa ARFEUILLERE, psychologue, Evry – Stéphane ARFEUILLERE, psychologue – St Denis – Hervé BOKOBZA, psychiatre, psychanalyste, Montpellier – Mathieu BELHASSEN – interne en psychiatrie, Paris – Fethi BENSLAMA, Directeur de l’UFR Sciences Humaines Cliniques, Paris VII – Olivier BOITARD, psychiatre des hôpitaux, administrateur du CHI de Clermont de l’Oise – Paul BRETECHER, psychiatre, psychanalyste, Paris – Loriane BRUNESSAUX, interne en psychiatrie, Paris – Monique BUCHER, psychiatre, Paris – Anne CHAINTRIER, psychiatre, psychanalyste, Paris – Patrice CHARBIT, psychiatre, vice président de l’AFPEP-SNPP ( Association française des psychiatres d’exercice privé, syndicat national des psychiatres privés) – Franck CHAUMON, praticien hospitalier, psychanalyste, Paris – Patrick CHEMLA, psychiatre des hôpitaux, psychanalyste, Reims – Alice Cherki, psychanalyste, Paris – Jean DANET, maître de conférences à la faculté de droit de Nantes – Pierre DELION, Professeur de psychiatrie, Lille – Michel DAVID, psychiatre des hôpitaux, chef de service du SMPR de Guadeloupe, Président de la Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales – Olivier DOUVILLE, psychanalyste, maître de conférences Paris VII – Denis DUCLOS, sociologue, directeur de recherches au CNRS – Corinne EHRENBERG, psychanalyste, directrice de l’USIS Paris 14 – Patrick FAUGERAS, psychanalyste, Alès – Jean-Marie FAYOL-NOIRETERRE, magistrat honoraire, Lyon – Roger FERRERI, chef de service de psychiatrie infanto-juvénile, Evry – Jean-Jacques GIUDICELLI, psychiatre, psychanalyste, Paris – Roland GORI, psychanalyste, Professeur des Universités, Montpellier – Françoise GOUZVINSKI psychologue en psychiatrie – Pascale HASSOUN, psychanalyste, Paris – Clément JALLADE, praticien hospitalier, Bouffémont – Sandrine JALLADE, praticien hospitalier, Evry – Xavier LAMEYRE, magistrat chercheur, Paris – Guy LERES, psychanalyste, Paris – Marie-José LERES, psychologue en secteur de psychiatrie infanto-juvénile, Saint-Denis – Laurent LE VAGUERESE, psychanalyste, Paris – Danielle LEVY, psychanalyste, Paris – Serge KLOPP cadre de santé, EPS Maison Blanche Paris – Paul LACAZE, psychiatre, Montpellier – Antoine LAZARUS, Directeur du Département de Santé Publique et Médecine Sociale, Paris XIII – Loïc Le Faucheur, Psychologue, Evry – Claude LOUZOUN, psychiatre, Président du CEDEP (Comité européen droit, éthique et psychiatrie) – Sophie MARTIN-DUPONT, praticien hospitalier, présidente du SPEEP (Syndicat des praticiens exerçant en prison), Le Mans, – Paul MACHTO psychiatre, psychanalyste, Montfermeil – Francine MAZIERE, linguiste, professeur émérite, Paris XIII – Patrick MEROt, Psychiatre, psychanalyste, Nogent – Véronique NAHOUM-GRAPPE, anthropologue, EHESS – Marie NAPOLI, psychiatre des hôpitaux, présidente de l’USP (Union syndicale de la psychiatrie) – Okba NATAHI, psychanalyste, Paris – Jean-Marie NAUDIN, Psychiatre, praticien hospitalier, professeur des universités, Marseille – Jean OURY, psychiatre, Clinique de La Borde, Cour-Cheverny – Catherine PAULET, psychiatre des hôpitaux, Présidente de l’ASPMP (Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire), Marseille – Vincent PERDIGON, psychiatre, psychanalyste, Paris – Michel PLON, psychanalyste, Paris – Jean-Claude POLACK, psychanalyste, Paris – Erik PORGE, psychanalyste, Paris – Annie RUAT, psychiatre chef de service, MGEN, Paris – Marie Receveur, juge de l’application des peines, Lyon – Pierre Yves ROBERT, praticien hospitalier – Président du CSIP (Collège des soignants intervenant en prison), Nantes – Patrick SERRE, praticien hospitalier, président de l’APSEP (Association des professionnels de santé exerçant en prison), Le Mans – Olivier SCHMITT, psychiatre, Président de l’AFPEP-SNPP (syndicat national des psychiatres d’exercice privé) – Didier SICARD, Professeur de médecine, Président d’honneur du CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) – Hanna SLOMCZEWSKA, psychiatre des hôpitaux, Avignon – Béatrice STAMBUL, Psychiatre des Hôpitaux, Responsable du CSST Villa Floréal à Aix en Provence – Annette VALLET, professeur retraitée – Alain VANIER, psychanalyste, Professeur de psychopathologie, Paris VII – François VILLA, psychanalyste, Maître de conférences, Paris VII – Martine VIAL-DURAND, psychologue psychanalyste, responsable du dispositif Ateliers Thérapeutiques de Nanterre – Loick VILLERBU, professeur de psychopathologie et criminologie, directeur de l’Institut de Criminologie et Sciences Humaines, Rennes – Daniel ZAGURY, psychiatre des hôpitaux , chef de service, Paris – Radmila ZIGOURIS, psychanalyste, Paris.


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Marie Pezé,  » je ne vois pas l’intérêt du stress « 

Marie Pesé a crée une consultation « Souffrance au travail » dans laquelle elle peut recevoir les personnes qui souffrent de leur activité professionnelle. Elle considère que le sujet ne sait pas faire face à ce qui lui est demandé par son employeur. D’une part, il ne peut fuir, d’autre part, il ne peut comprendre. Coincé, ses symptômes marquent une réaction qui peut le conduire à la destruction.

Voici son interview réalisée par Cannasse et publiée sur son blog, Carnets de santé

 » Psychologue clinicienne, psychanalyste, expert judiciaire auprès de la Cour d’appel de Versailles, Marie Pezé a fondé en 1997 la première consultation « Souffrance et travail ». Elle vient de publier  » Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés  » (2008), un livre magnifique, à la fois émouvant et pédagogique, sur dix années de consultation. Le lecteur y avance pas à pas, par études de cas, explications théoriques et conseils sur la conduite à tenir. Dans cet entretien, elle bat en brèche quelques idées reçues sur les généralistes, les psychotropes, le stress, etc.

Le stress au travail est devenu un enjeu de santé public. Cela vous satisfait-il ?

Le stress n’est pas une pathologie, c’est un processus adaptatif de l’organisme. En revanche, il existe de véritables psychopathologies du travail, qui sont des pathologies de surcharge, intellectuelle, psychique ou physique. C’est d’elles qu’il faut parler, et non du stress. Elles ont été très bien décrites par les cliniciens du travail et font l’objet de nombreux travaux épidémiologiques, par exemple les enquêtes SUMER ou celles de la DARES. Toutes ont montré que les problèmes de santé au travail liés à cette surcharge se sont aggravés ces dernières années. Elles sont bien connues. C’est pourquoi je ne vois pas l’intérêt de mettre au point un nouvel outil statistique sur « le stress », comme le propose le rapport Légeron, alors que l’urgence est d’agir sur les causes de ces pathologies, les nouvelles organisations du travail.

N’y a t’il pas aussi une susceptibilité individuelle ?

Les psychopathologies du travail naissent de facteurs multiples : formes d’organisation du travail, choix de société, choix politiques et bien entendu, organisation psychique personnelle de chaque travailleur. Mais il ne faut surtout pas s’imaginer quelles atteignent des sujets fragiles. C’est exactement le contraire : elles touchent des personnes exigeantes quant à la qualité de leur travail. Souvent, ce sont même des personnes importantes pour l’équilibre de leurs équipes, dont elles sont le pivot.

On ne peut pas comprendre ces maladies si on se contente d’une seule approche. Je suis psychanalyste. Mais la psychanalyse ne suffit pas pour comprendre pourquoi ce sont les femmes qui ont les emplois ayant un lien avec la saleté, la mort, la vieillesse, l’enfance, la maladie, ni pourquoi à travail égal leur salaire est en moyenne inférieur de 25 % à celui des hommes. Elles seraient masochistes ? Ici la théorie psychanalytique n’a aucun intérêt.

L’argument de la fragilité ne tient pas devant l’ampleur du phénomène. Celui-ci ne touche aucun profil psychique particulier.

Les patients ont-ils une symptomatologie particulière ?

Les patients me sont adressés parce qu’ils sont dans une situation grave, d’urgence, qui a tous les caractères des névroses post-traumatiques : cauchemars nocturnes, reviviscences diurnes, réveils en sursaut, crises d’angoisse par analogie (par exemple, fausse reconnaissance de la voiture du persécuteur), perte de l’élan vital, repli social, sentiment d’incompétence, de culpabilité, etc.

Ces névroses s’expliquent par l’impossibilité de recourir à une des deux voies possibles en cas de traumatisme. Soit l’élaboration psychique, c’est-à-dire réfléchir à la situation et y répondre intellectuellement de manière satisfaisante, soit la fuite sensori-motrice. Celle-ci est interdite au travail : on ne peut pas répondre agressivement à son employeur, on ne peut pas abandonner son travail, sous peine de perdre tous ses droits d’indemnisation. L’autre possibilité suppose de comprendre l’ensemble des processus en jeu, ce qui est très complexe.

Pour vous, le travail est donc constitutif de l’identité personnelle.

Il est central pour sa construction. Le travail d’organisation du monde débute dès la naissance, c’est alors un travail psychique. Il se poursuit à l’école, au foyer, dans les emplois que nous occupons.

Parler de fin du travail ou promouvoir la paresse comme mode de vie est une forme de cynisme qui fait beaucoup de dégâts. Il faut remettre le travail au centre de la vie, le « travailler bien et ensemble ».

D’où vient que l’organisation du travail est pathogène ?

Le travail concrètement effectué ne correspond pas au travail tel qu’il est prescrit par la hiérarchie. Celle-ci suit une logique gestionnaire qui ne tient aucun compte de l’adaptation au réel que tout travailleur doit effectuer. Nous devons tous ruser avec le réel, nous apprenons tous constamment notre métier. Vouloir faire des descriptions exhaustives des tâches à accomplir est un fantasme de toute puissance venant de gens qui croient tout savoir parce qu’ils ont un diplôme de niveau élevé. Mais ils n’ont aucune expérience du terrain.

Leurs méthodes sont nées dans les années 90. Elles utilisent les données des sciences humaines pour accroître la productivité des salariés en jouant sur la pression morale (vouloir bien faire) plutôt que celle de la reconnaissance par les autres. Elles individualisent en cassant les collectifs de travail, suppriment la mémoire des anciennes formes d’organisation en licenciant les seniors, organisent la porosité entre la vie privée et la vie professionnelle et mettent les salariés en concurrence entre eux. Elles tiennent essentiellement par la peur du chômage.

Cela aboutit à une hyperactivité qui touche aujourd’hui tout le monde, y compris les médecins. Une des mes patientes, mise en invalidité pendant 6 mois, a retourné la terre de son jardin tous les jours ; elle ne savait plus s’arrêter. L’hyperactivité fonctionne comme la douleur : quand un seuil est passé, elle s’entretient toute seule, mécaniquement. Pour moi, c’est la pulsion de mort devenue autonome. Les gens ont l’impression qu’ils ne peuvent l’arrêter qu’en se supprimant.

Intervenez-vous sur l’organisation des entreprises ?

Non, je n’ai aucune compétence pour cela, au contraire d’autres professionnels dont c’est le métier. Je peux aider au repérage de la souffrance au travail ou donner un avis au médecin du travail. C’est d’abord lui qui doit s’adresser à l’employeur pour lui signaler les problèmes d’absentéisme, de renouvellement rapide des équipes, d’arrêts maladies, etc, liés à tel service de son entreprise, sans pour cela stigmatiser personne, mais en soulevant les problèmes d’organisation. J’ai aussi donné beaucoup de formations en entreprises, mais je ne suis pas certaine que cela ait été très utile.

Par qui les patients vous sont ils adressés ?

Le plus souvent par le médecin du travail. De toute façon, je ne peux rien faire sans lui, que ce soit pour muter un salarié, aménager le poste de travail ou obtenir un licenciement dans de bonnes conditions. Quand ils me sont adressés par un généraliste, je lui conseille aussi de se mettre en relation avec le médecin du travail.

Les généralistes ont pourtant la réputation de ne pas s’intéresser aux questions du travail.

C’est faux. Ce sont eux qui sont en première ligne, qui dirigent vers les consultations spécialisées comme la mienne et qui prescrivent les arrêts de travail. Ces derniers sont souvent le seul moyen d’éviter une situation qui peut conduire au suicide. La plupart des arrêts sont justifiés, il ne faut surtout pas penser le contraire. Les généralistes font ce qu’ils peuvent avec les outils qu’ils ont : le médicament et l’arrêt-maladie. C’est une des raisons pour lesquelles ils prescrivent beaucoup de psychotropes.

En revanche, ils ont besoin d’être formés, non seulement en clinique, mais aussi pour les démarches médico-administratives, pour gagner du temps et bien aiguiller leurs patients et rédiger leurs certificats sans préjudice. Tout cela est fondamental. Pour cela, avec Christophe Dejours, nous avons créé une formation pluridisciplinaire au CNAM (Conservatoire national des Arts et Métiers) et beaucoup publié dans la presse médicale, en particulier dans la Revue du praticien et le Concours médical, en expliquant les outils que nous avons construits (et qu’ils peuvent retrouver à la fin de mon livre).

J’ai des rapports constants avec des généralistes, comme avec des médecins du travail, des médecins conseils, des médecins de la COTOREP, des médecins inspecteurs, des psychiatres, des psychanalystes et des juristes. Nous travaillons en coordination dans un vaste réseau informel qui couvre toute l’Île de France. Mais cela prend beaucoup de temps, un temps que souvent le généraliste n’a pas.

Serait-ce utile de le formaliser ?

Pas vraiment. Il faut surtout savoir qui fait quoi. Ce qui serait utile serait que les médecins travaillant dans les organismes sociaux restent plus longtemps au même poste pour assurer un suivi efficace et qu’on puisse plus facilement les joindre directement par téléphone plutôt que d’aboutir à un plateau téléphonique anonyme « .

Entretien paru dans la Revue du praticien médecine générale (octobre 2008).
Photos : © serge cannasse

Marie Pezé, « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », Pearson Education France, 2008

Le choc des émotions: la fin de la raison dans l’histoire ? par D. Moisi critiqué par D. Boquet

Dominique Moïsi, La Géopolitique de l’émotion. Comment les cultures de peur, d’humiliation et d’espoir façonnent le monde, Paris, Flammarion, 2008. Traduit de l’anglais par François Boisivon. 269 pages – 20 €

par Damien Boquet

"Sur la quatrième de couverture, l’essai de Dominique Moïsi paru il y a quelques jours en traduction – pour cause d’élection américaine, la version originale paraîtra après la traduction française – est présenté comme le « premier livre à explorer la dimension émotionnelle de la mondialisation ». Ambitieux programme qui conduit l’auteur à dresser une géopolitique émotionnelle à l’échelle planétaire. La « carte des émotions » qu’il propose alors fait apparaître trois grandes aires :

▪ l’espoir pour l’Asie (Inde, Chine, ASEAN),

▪ l’humiliation pour le monde arabe et musulman,

▪ la peur pour l’Europe et l’Amérique du Nord.

S’ajoutent les espaces dits « inclassables » (Russie, Afrique, Israël, Amérique du Sud) qui se caractérisent par une combinaison de plusieurs émotions. On pourra ne pas être convaincu par une telle théorie des grands ensembles qui se présente comme une alternative aux visions simplifiées du monde de Fukuyama[1] ou de Huntington[2] mais qui active finalement les mêmes schématismes. Je laisse à plus compétent que moi le soin d’évaluer scientifiquement la pertinence de la thèse, pour me limiter ici à quelques ressentis. Ainsi, le chapitre central consacré à la culture d’humiliation dans les pays arabes et musulmans m’a paru de loin le plus convaincant, notamment parce qu’il fait écho aujourd’hui à une solide érudition sur le plan historique et sociologique. En revanche, les peurs attribuées à l’Occident me semblent relever d’un agrégat qui mêle des réalités très différentes (peur du terrorisme, peur du chômage, peur de l’Autre…) et parfois rapidement évaluées : dans le dossier du terrorisme islamiste, doit-on mettre sur le même plan les rhétoriques de la peur qui ont servi de support à la politique répressive de certains gouvernements et les ressentis supposés des populations elles-mêmes ? Ne peut-on pas penser à l’inverse que les populations des pays touchés par le terrorisme, notamment en Europe, ont fait preuve d’un remarquable sang-froid, sans se laisser prendre au piège de la peur ? De façon moins dramatique, à propos des manifestations de l’année 2006 en France contre le Contrat Première Embauche (CPE), doit-on se satisfaire comme le fait l’auteur du souvenir de quelques interviews et conclure que les manifestants n’étaient pas mus par un sentiment de révolte contre une injustice sociale mais par la « peur d’être laissé sur le carreau par les plus dynamiques des économies asiatiques » (160) ? N’est-ce pas ici un cliché quelque peu paternaliste, hâtivement validé par des « récents sondages [qui] ont montré que presque 75 % des jeunes rêvaient de devenir fonctionnaires afin d’avoir un emploi garanti leur vie durant » (159) ? En tout cas, pour avoir assisté à la mobilisation étudiante depuis l’université d’Aix-en-Provence, pour côtoyer quotidiennement cette jeunesse qui, autre cliché, ne voudrait « plus changer le monde mais s’en protéger » (160), j’observe en son sein un ressenti bien plus complexe qu’un camaïeu de peurs. Enfin, j’avoue ne pas avoir vu dans le tableau concernant la culture d’espoir qui caractériserait l’Inde ou la Chine autre chose qu’un vague, et finalement bien peu émotionnel, optimisme économique. L’espoir ici invoqué me paraît surtout celui des analystes, davantage que des populations dont les contours, et plus encore les émotions, sont très flous et lointains. Mais ce ne sont là que mes propres émotions : doivent-elles valoir pour des jugements ?"

Lire la suite de cet article


[1] Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

[2] Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1996.

Le web a 6257 jours !

07 novembre 2008

 

6257! ou l’histoire du web au Web 2.0 Summit

 

kevinkelly.1226041359.jpg C’est le nombre de jours qui nous séparent de la création par Tim Berners Lee de la première page web. Et c’est Kevin Kelly , l’un des papas du super magasine sur les nouvelles technologies Wired , qui vient de le mettre en avant lors d’une passionnante intervention sur l’histoire du web pendant le Web 2.0 Summit qui se tient en ce moment à San Francisco.

Kevin Kelly a réussi à expliquer, avec des mots très simples, l’histoire de ces 6257 jours. En trois phases chronologiques :

1- Les ordinateurs sont liés entre eux. Et le réseau sert à partager des « paquets ». Pas très intime, ni personnel…

2- Les documents sont liés entre eux. Et on commence à partager des liens. C’est déjà plus intime et personnel : il y a des documents…

3- On commence à lier des données entre-elles. On fait des liens entre les informations à l’intérieur des pages.  Ce sont nos données, nos informations que nous partageons. Bien plus personnel et intime…..C’est la phase dans laquelle nous sommes aujourd’hui.

Pour Kelly, nous avons mis 6257 jours à poser les fondements de ce qu’il appelle le Word Wide Data Base, ou encore le Data Web. Dont le grand principe est de déstructurer les informations pour les rendre lisibles par des machines – les bases de données notamment – pour ensuite les restructurer sous tout un tas de formes possibles.

In fine, tous les objets vont être reliés à ces bases de données : ampoules, ascenseurs, boîtes de conserves… et connectables, bien sûr à des personnes. C’est ce qu’il nomme la base de donnée des choses.

Une vision simple de notre monde 2.0, mais diablement efficace, non ?

Dominique Piotet

08 novembre 2008

 

Les 6500 prochains jours du web

 

Suite à mon précédent billet , je reviens sur la présentation de Kevin Kelly . Après sa brillante description des 6257 premiers jours du web, il s’est essayé à imaginer les 6500 suivants.

Il insiste d’abord sur le fait que ce Web sera très différent de celui que nous utilisons aujourd’hui. Il y a 6257 jours nous pensions que le web serait la TV en mieux, et ce n’est pas arrivé. Alors le web de demain ne sera pas le web, mais en mieux. Ce sera autre chose.

Cet autre chose sera d’abord ce qu’il appelle une très large machine, dans les nuages, comportant toutes les données disponibles. Pour Kelly, tout ce qui ne sera pas « wébisé » n’aura pas d’existence. Le web sera l’OS global de demain, il captera tout, absolument tout ! Nous y accéderons par tout un tas d’appareil à écran (de la TV au téléphone mobile en passant par l’écran de contrôle de notre frigo et le GPS de notre voiture…), qui ne seront en fait que des fenêtres vers la « grande machine ».

Il distingue trois éléments, qui sont déjà en route :

1- Le vaste mouvement qui tend à tout déplacer vers « les nuages ». Même Microsoft annonce qu’il s’y met à grande échelle !

2- En parallèle, un vaste déplacement des données vers des bases de données, qui deviennent les fondations sur lesquelles tout le système repose.

3- Pour faire marcher tout cela, faire circuler les données, leur donner du sens : le partage. Facebook a commencé, mais ce n’est que le début, car c’est l’huile des rouages de la grande machine de Kelly.

Dans 6500 jours, selon Kelly, la vie sera toujours connectée. Nous vivrons dans un état d’extrême dépendance à la connexion au réseau. Et il faudra inventer de nouvelles valeurs, voir même ce qu’il appelle le Socialisme 2.0 (faute de meilleurs mots dit-il) pour gérer collectivement les règles de partage de ces données qui seront l’essentiel de nos vies et de nos valeurs collectives. 6500 jours : autant dire demain !

Effrayant? Inéluctable? Visions utopiques d’un allumé de la Silicon Valley ? Et si tout cela était déjà en route ?

Dominique Piotet – L’Atelier-US

[Photo Flickr de Kevin Kelly prise en 2006 par ptufts ]

L’avenir de Dolto

« Dolto, c’est du passé. Moi, je ne fais pas partie de cette bande là », disait un psy comportementaliste ce matin sur France Inter, sans oublier d’en appeler aux nouvelles méthodes de « discipline » dans l’éducation des enfants.

Quand j’étais interne en psychiatrie, je me suis vite rendu compte qu’il y avait des modes en matière de psychothérapie. Il y avait eu une génération d’internes qui avaient lu et choisi les idées de Paolo Alto, l’analyse systémique ou thérapie familiale. Puis, il y eu ceux qui s’intéressaient à l’hypnose Ericksonnienne, une resucée plus rapide des idées de Watzlawick car limitées à ce seul auteur. Puis, ceux qui étaient impressionné par l’aspect transgénérationnel, puis l’ethnopsychiatrie de Devereux, etc…

La particularité de ces modes était qu’une génération entière d’interne s’y engloutissait suivie par une autre. La génération suivante abandonnait les références de la précédente en denoncant son ancienneté, « c’est du passé », disaient-il en guise d’argument.

Alors quand j’ai vu arriver ceux qui ne jure que par Skinner, les comportementalistes, je me suis dit que cela leur passerait. Et cela passe déjà. En un sens, c’est déjà du passé. D’ailleurs, en ce moment, si j’en crois ce que j’entends, beaucoup d’internes s’intéressent plutôt à la théorie de l’esprit de Dennett.

Je crois que c’est là que je me suis dit que l’on ne choisi pas des auteurs, mais des idées. On ne choisit pas un courant de pensée, mais on décide de penser par soi même. Ni une éthique, mais son éthique en matière de psy.

Vous pouvez vous en rendre compte dès que vous recevez quelqu’un en entretien. Tout ce que vous avez pu lire avant, vous pouvez le ranger dans votre bibliothèque aussitôt. Pour suivre ce qu’il a à vous dire, il faudra oublier tout ça. Et c’est là que vous vous rendez compte que la faculté c’est bien pour les fondamentaux, les « réflexes » à avoir dans les conduites à tenir devant un patient. Mais pour le reste, c’est vos patients qui vous l’apprennent.

Alors, que faire pour se former en psy ?

J’ai pris le parti de lire tout azimuths et même en dehors de la psy. Pour apprendre. En restant critique, n’est-ce pas ? Enfin, si possible.

Là, vous pouvez vous rendre compte que chaque auteur dit des choses intéressantes, même quelqu’un comme Cottraux. Enfin bon, celui-là, ce que j’ai lu de lui était souvent assez noir… De l’humour certainement ?

Vous vous rendez compte aussi que des anciens peuvent dépasser le nouveaux. Et que les nouveaux croient parfois enfoncer des portes ouvertes. Enfin pour les comportementalistes, je devrais peut-être dire: fermer la porte à l’inconscient.

Alors pour Dolto, j’ai eu la chance d’entendre très jeune ce qu’elle disait à la radio. Et j’ai trouvé ça intéressant. Elle a peut-être fait parti de mes choix en matière d’orientation professionnelle. Et ce que je peux entendre ces jours-ci à l’occasion de sa rétrospective anniversaire, me parait encore et toujours pertinent.

Archives Françoise Dolto

Cycle Françoise Dolto sur France Inter

Pathologies mentales complexes: les thérapies de longue durée plus efficaces

Une psychothérapie « psycho-dynamique » est un euphémisme pour ne pas utiliser le mot qui fâche: psychanalyse… Enfin, les plus fâchés sont les comportementalistes, cognitivistes, et tutti quanti, tenant du traitement minute en matière d’aide et de soutien à l’autre ! Comme s’il était possible de comprendre quelque chose d’aussi complexe que la vie d’une personne en cinq minute… 

Voici une dépêche de l’AFP sur l’intérêt de se hâter lentement….

Des psychothérapies durant au moins un an paraissent plus efficaces pour traiter des pathologies mentales complexes que des interventions de courte durée recourant plus intensivement à des médicaments, selon une méta-analyse publiée mardi.

« Dans cette méta-analyse, les psychothérapies psycho-dynamiques de longue durée (au moins un an ou 50 séances) ont été nettement plus efficaces que des traitements intensifs courts quant aux résultats d’ensemble tout comme pour cibler des problèmes particuliers et améliorer le fonctionnement de la personnalité du patient », écrit le Dr. Falk Leichsenring, de l’Université de Giessen en Allemagne, un des co-auteurs de ces travaux.

Cette méta-analyse a porté sur 23 études dont onze cliniques et 12 dites d’observation ayant couvert 1.053 patients au total.

« Les psychothérapies psycho-dynamiques ont produit d’importants effets durables sur des patients souffrant de troubles de la personnalité, de troubles mentaux multiples et d’instabilité mentale chronique », poursuivent les chercheurs dont les travaux paraissent dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) daté du 1er octobre.

« Les effets ont été mesurables pour l’ensemble des troubles et se sont accrus de façon notable entre la fin des séances de thérapies et les visites de suivi », ajoutent ces psychiatres.

En terme d’efficacité générale des deux types de traitements, les patients ayant bénéficié des psychothérapies psycho-dynamiques de longue durée ont enregistré en moyenne de meilleurs résultats dans plus de 96% des cas que ceux ayant été soumis aux thérapies intensives et brèves ».

AFP 01.10.08

Les placébos chers, plus efficaces que les bon marché… Une révolution

Nominés aux Ig nobel (les nobels ignobles) :

Avis aux comportementalistes:

“Le prix de Sciences Cognitives est revenu à une collaboration nippo-hongroise qui s’est penchée sur l’intelligence des amibes. Des êtres tellement simples qu’ils ne sont formés que d’une seule cellule. Et pourtant : placés à l’entrée d’un labyrinthe, une amibe est capable de trouver toute seule, sans plan ni boussole, le chemin le plus court vers la sortie. L’amibe serait donc plus douée pour l’orientation que certains humains (on ne citera pas de nom). Et attention : c’est la revue Nature qui a publié ça. Si les meilleurs se mettent à dérailler…”.

Avis à l’industrie pharmaceutique:

“ Dan Ariely et son équipe de l’université de Durham (Caroline du Nord) ont reçu le Ig Nobel de Médecine pour avoir montré que les médicaments très chers étaient plus efficaces que ceux bons marché, dans le cas où lesdits médicaments sont des placebos. Une révolution ! Du sucre à 150 euros guérirait mieux que la pénicilline à deux sous. Si les entreprises pharmaceutiques suivent cette conclusion, elles devraient rapidement mettre la clé sous la porte pour revendre leurs locaux à Béghin-Say ”.

Les sciences sociales ne sont pas solubles dans les sciences cognitives, pétition contre la réforme du CNRS

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Les signataires de ce texte sont tous concernés par le domaine que le projet d’Institut National des Sciences Humaines et Sociales (INSHS) entend regrouper sous l’appellation « Cognition et comportement ».
Nous sommes étonnés et inquiets de voir que le projet considère que ces domaines relèvent exclusivement des sciences cognitives, constituant les « théories de la complexité » en référent méthodologique central. Il ne fait aucune mention de la philosophie des sciences non naturaliste, de la sociologie, de l’histoire, de l’anthropologie et des sciences politiques. Pourtant, la question de savoir ce que sont précisément la « cognition » et le « comportement » est, à l’évidence, un objet des sciences humaines et sociales : il suffit de penser aux conséquences juridiques et pénales, professionnelles, éducatives (pour ne citer que quelques exemples) de la définition de ce qu’est un comportement, ou aux dimensions collectives, linguistiques, pragmatiques de ce qu’on entend par cognition. Les sciences cognitives n’ont pas le monopole de la cognition.
Pour avoir une idée de l’aveuglement de la nouvelle perspective envisagée, rappelons-nous seulement l’intensité des polémiques qui ont suivi la publication de l’expertise collective de l’INSERM sur le trouble des conduites en 2005 : la définition des comportements anormaux des enfants est apparue immédiatement comme un enjeu de société. Nous sommes étonnés et inquiets de constater l’absence dans le projet des mots-clés santé mentale, psychiatrie, alors que ces domaines sont aujourd’hui, non seulement des préoccupations transversales de nos sociétés, mais encore des objets de conflits.
Peut-on encore sérieusement affirmer que la connaissance du « substrat cérébral » soit la principale chose à considérer pour traiter des questions d’éducation, de santé ou d’organisation du travail ? Les meilleurs spécialistes des neurosciences eux-mêmes s’en gardent bien, et nombreux sont ceux qui souhaiteraient un dialogue approfondi avec des historiens, des sociologues ou des philosophes, précisément sur ces points, afin de procéder à l’indispensable analyse conceptuelle des termes en question : esprit, cerveau, connaissance, comportement.
Le privilège accordé aux approches neuroscientifiques pour parler du comportement relève d’une politique de recherche à courte vue. Une telle approche idéologique ne saurait fonder une politique scientifique digne du futur Institut. S’agit-il de convertir de force la communauté scientifique en sciences humaines et sociales au paradigme cognitiviste ? Nous ne sommes pas appelés à devenir des neurosociologues, des neurophilosophes, des neuroanthropologues ou des neurohistoriens. L’examen concret de la normativité de la vie sociale découverte par l’École sociologique française (Durkheim et Mauss) et la sociologie allemande (Weber) n’est pas une illusion destinée à être remplacée par l’étude de la connectivité cérébrale. C’est un niveau autonome et irréductible de la réalité humaine.
Pourquoi, sans aucun argument explicite en sa faveur, accorder un pareil privilège à un paradigme particulier, naturaliste (ou du moins réductionniste), au détriment d’approches intégratives qui font place aux dimensions sociales de la formation des connaissances (aux contextes socio-historiques, aux institutions, …) ? L’INSHS doit-il mettre un seul paradigme intellectuel en position dominante ? Doit-il rayer d’un trait de plume le pluralisme méthodologique et les débats de la communauté scientifique internationale ? Doit-il enfin compter pour rien l’excellence reconnue des programmes non cognitivistes en SHS ?
Depuis plusieurs années des chercheurs en sciences sociales ont commencé à développer au sein du CNRS notamment, des recherches sur ces sujets. Ils ont constitué un milieu scientifique ouvert et créatif, et ont entamé son internationalisation. Le projet tel qu’il est conçu aujourd’hui mettra fin à cette dynamique. Au-delà, il menace l’existence même des sciences humaines et sociales comme disciplines vivantes, critiques e constructives.
Nous reconnaissons parfaitement l’intérêt des sciences cognitives, et la nécessité qu’elles aient leur place et qu’elles se développent à l’INSHS. De même il nous paraît essentiel de valoriser et de reconnaître les « théories de la complexité » comme un authentique partenaire scientifique dans les sciences humaines et sociales. C’est une condition évidente de la crédibilité scientifique internationale du futur Institut. Mais pour cette raison même, nous refusons leur monopole. Le statut du pôle « Cognition et comportement » tel qu’il est actuellement rédigé consacre la marginalisation d’autres paradigmes d’analyse ou leur insidieuse relégation dans le patrimoine historique.
Nous exigeons donc la réintroduction explicite, dans la mission confiée au pôle « Cognition et comportement », des disciplines qui en ont été exclues, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, la philosophie, l’économie (qui n’est pas une neuroéconomie, pour la plupart des chercheurs) et les sciences politiques afin, tout simplement, que la liberté et la qualité de la recherche soient préservées au sein de l’Institut.


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Les premiers signataires de cet appel sont : Simone Bateman (sociologue, directrice de recherche au CNRS), Jean-François Braunstein (philosophe, Pr à l’université Paris 1), Martine Bungener (économiste, directrice de recherche au CNRS), Pierre-Henri Castel (philosophe, directeur de recherche au CNRS), Jean-Paul Gaudillière (historien, directeur de recherche à l’INSERM, directeur d’études à l’EHESS), Vincent Descombes (philosophe, directeur d’études à l’EHESS), Alain Ehrenberg (sociologue, directeur de recherche au CNRS), Bruno Karsenti (philosophe, directeur d’études à l’EHESS), Sandra Laugier (philosophe, Pr à l’Université de Picardie), Bernard Lahire (sociologue, Pr à l’ENS-LSH), Frédéric Lebaron (sociologue, Pr à l’Université de Picardie), Michel Le Moal (psychiatre et neurobiologiste, membre de l’Académie des sciences), Olivier Martin (sociologue, Pr à l’Université Paris Descartes), Albert Ogien (sociologue, directeur de recherche au CNRS), Bernard Paulré (économiste, Pr Paris 1), François Rastier (linguiste, directeur de recherche au CNRS).

Freud entretient des soupçons sur la question génétique du suicide….

Le suicide est-il génétique ?

Pouvons-nous le recevoir en héritage de nos parents ?

Est-il possible de le transmettre à nos enfants ?

Freud s’est montré assez radical quand à cette hérédité des névroses. Il estime que la névrose peut en effet se « transmettre ». Mais, pas par les gènes !

Par identification !

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Le blog impérissable

Tenir un blog est une sorte d’ouverture à l’inconscient.

J’ai pu constater que les témoignages à propos de suicide, ce que disent les personnes qui se sont frottées à l’envie de se détruire, n’ont rien de virtuel. La matière d’un blog est une chose étonnante. Car il y a de la matière.

La nommer « virtuelle » est une erreur qui nous masque une réalité intéressante à cerner. Au pire une fausse piste qui peut faire croire que ce que l’on y dit ne serait pas consistant, du baratin et du bla-bla.

Il y a les mots, leur agencement, leur publication selon un format imposé par le fournisseur d’accès internet et la plateforme que l’on utilise pour la mise en page avec ce que cela suppose comme typographie et habillage imposé par ces derniers.

Avec le blog, j’ai commencé par utiliser ce dont je pouvais disposer comme forme prédéfinie par Blogger. En réalisant l’index, j’ai pu me rendre compte de ce que cela emporte comme empilement. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de citer des paragraphes déjà rédigés qui ont comptés comme des sortes de balises dans la progression de la réflexion sur le suicide. Et alors là, j’ai pu réaliser un effet « d’enfouissement ». C’est François Bon qui en fait la pertinente remarque.

Le blog a une structure d’empilement. Chaque nouveau billet N se superpose au précédent et le repousse au rang précédent. N-1. Puis, le nouveau billet devient N-1 à son tour et le précédent N-2, etc…. Si bien que le nouveau billet n’est jamais assez nouveau, qu’il est déjà un N-1 ou N-X en puissance. X est infini. Borné par N qui tend vers rien. Le nouveau billet n’existe pas encore qu’il est déjà appelé dans les dessous. Cela donne une pile de billets dont la structure dans l’espace du blog est verticale. Une pile de livre où il est difficile de repérer le billet du dessous. Dans les strates successives de billets, il arrive un moment où chaque strate devient difficile à retrouver. Ce qui pourrait conduire à une archéologie du blog.

Il est en effet tentant de comparer cet empilement à un « enfouissement » : « Un blog est condamné à sa permanente superposition verticale, donc se faisant disparaître lui-même en permanence par auto-étouffement sur même surface, comme ce jeu de gosse où c’est à qui mettra la main sur le dessus — c’est cela que j’appelle le principe de fosse à bitume : vous mettez en ligne un article, les commentaires arrivent ou pas (en général, 3 ou 4 commentateurs noyau pour chaque blog, soit 1 % des visiteurs individuels « discrets » ?), et puis les consultations baissent parce que vos habitués sont déjà passés consulter, alors vous remettez un article et on réamorce, mais le précédent ne sera plus accessible que moyennant considérable et volontaire effort du visiteur, sauf travail de série. (…) La forme devenue dominante des blogs s’enfonce verticalement comme dans une fosse à bitume, enterrant à mesure ses propres contenus sous elle : c’est étrange à voir. Pas de thésaurisation d’ensemble, par d’arborescence de travaux menés parfois sur des années : donnant primauté à ce bruit de la mise en ligne au quotidien, qui en fait en même temps l’outil le plus actif, comme on plaçait nos affiches autrefois, seau de colle à la main, en pleine ville (c’est peut-être le plaisir nostalgique d’Internet, pour nous arrivés dans l’après 68 ?) », Francois Bon, © 17 février 2007, Le tiers-livre.

Je pense que cette disposition en strates des billets est une autre forme de matérialité des blogs. Sauf que l’on peut prendre le billet qui se trouve en dessous de la pile sans écrouler l’empilement. Que cette succession ne s’efface pas, elle s’étend sans cesse pour peu que l’auteur du blog ne s’arrête pas. Les billets restent intacts au moins en principe d’après ce que les as de l’informatique nous expliquent.

Car il s’agit de la limite de la comparaison avec des affiches électorales ou publicitaires que l’on superpose sur les tableaux adéquats. Les panneaux sont retirés après les élections pour atterrir dans les usines de recyclage du papier. Si d’aventure les affiches se trouvent sur un mur, une exception de nos jours, les services municipaux ayant une section « anti-tag » dans les grandes villes, les anciennes affiches ne sont pas accessibles sans un minutieux travail de décollement afin d’éviter qu’elles ne se déchirent. Certaines seront perdues, emportées dans ce décollement. Cette comparaison a quelque chose de mortel qui nous reporte à la pourriture des tombeaux. Elle est valable pour les affiches électorales. Il faudrait poser la question à ceux qui tiennent des blogs à ce sujet. Nous pourrions peut-être déterrer quelques fameux cadavres dont l’exquise odeur ne manquerait pas de nous écœurer…

Le recyclage du papier est comparable à celui des autres déchets urbains. Lacan disait que cela définit une civilisation et distingue les hommes des animaux.

Freud avait déjà remarqué un des paradoxes de l’écriture dans un tout petit article, « Le bloc-note magique [1] ». Soit l’écriture est limitée par son étendue, l’espace pour écrire est limité à une feuille et quand elle est remplie, il faut en prendre une autre. Soit elle est limitée par sa durée. Elle peut être effacée comme la craie sur un tableau.

Avec internet, ces deux limites sautent. L’espace pour écrire est infini et il ne s’efface pas.

Mais la distinction espace/durée reste valable. Surtout quand on la compare comme le fait Freud à notre appareil psychique. Nous ne parvenons pas à tout lire, tout voir, tout entendre, nous sommes bornés dans l’espace de ce qui s’écrit dans notre conscience. Nous ne pouvons pas tout garder à l’esprit, le passage derrière, au niveau N-1 est inévitable. L’oubli fait partie de notre fonctionnement psychique. La « perception sensible » fonctionne par l’effacement répété du précédent billet N-1. La conscience est cette première page parge vierge d’un billet où l’on va reporter nos perceptions du moment.

Un personnage comme Rain Man le peut (s’il existe). Il se rappelle de tout car rien ne s’est effacé et il n’y a pas de limite à ce qu’il enregistre. Ran Main est un homme moderne, l’internet à lui seul.

Je suis très étonné par ces commentaires à d’anciens billets qui arrivent alors que je les avais déjà oubliés depuis un moment. Ces billets des dessous du blog me font retour après un oubli peut-être salutaire qui m’a permis, au moins, d’apprécier et d’admirer la performance de Dustin Hoffman. Car je ne suis pas forcément fier de constater la lenteur et les erreurs de ma pensée…

Les billets du blog nous reviennent intacts. Ils ne sont en réalité pas effacés, ils restent en réserve. Ils sont aussi délocalisés. Ces billets figurent dans les « archives » du blog et aussi dans d’autres lieux sur internet quand ils sont cités ou enregistrés par les moteurs de recherche ou d’autres blogs.

Freud estimait que le bloc-note magique illustrait l’inconscient de très près. Le blog aussi. Le blog illustre très bien ce que Lacan disait de l’inconscient. L’inconscient est le discours de l’Autre. Au moment de l’écriture, au point précis où le billet est publié sur le net, l’écrit passe dans l’Autre de l’internet. Les billets s’affichent dans plusieurs moteurs de recherche comme les échos du ricochet de la pierre à la surface de l’eau. Les lecteurs peuvent en parler longtemps après. Les billets N-X subsistent sans destruction. Ils sont impérissables. Le blog ouvre un espace infini (temps et espace) susceptible d’un retour dans tout lieu internet et à tout moment.

Combien de bloggeurs réécrivent leurs anciens billets et les publient comme des nouveaux ?

Les billets peuvent être modifiés après-coup. L’auteur peut agir sur un ancien billet en modifiant, ajoutant, complétant et développant le texte initial. Il peut effacer une partie du texte initial ou en enlever. Il peut le faire sur la surface initiale du billet N-X ou sur la surface vierge d’un nouveau billet en le reprenant à un moment ultérieur. Le texte initial n’a pas de forme et de contenu stable. Il peut être modifié en plus ou en moins, à sa place d’origine sous la pile des billets ou ailleurs sur une nouvelle surface à un autre moment. Il n’est pas figé, il peut varier dans le temps, il peut se délocaliser, il n’a rien de définitif. Les écrits de blog sont un matériau « plastique [2] ».

L’empilement crée la densité d’un espace qui permet un déroulement infini dans le temps et l’espace de l’Autre. Il ouvre la possibilité de créer une histoire. Celle du parcours du bloggeur sur laquelle il (ou d’autres) a la possibilité de revenir. S’il est sensible à la nature inconsciente de ce qu’il a écrit.

Merci François Bon. Encore. Cordialement.



 

[1] – Freud : « Le bloc-note magique est un tableau fait d’un morceau de résine ou de cire brun foncé encadré de papier; il est fait d’une feuille mince et translucide qui est fixée à son bord supérieur et libre en son bord inférieur. Pour se servir de ce bloc-note magique, on écrit sur le feuillet de celluloïd transparent. Un style pointu raye la surface où l’écriture s’inscrit en creux ». En tirant la feuille, l’écriture est effacée, mais elle est aussi conservée dans la couche de cire brune. La surface redevient vierge et figure le système de la conscience pour Freud, dans : Résultats, Idées, Problèmes, Tome II, Paris, PUF, p.120

 

[2] – S. Freud dit une chose analogue : « Tout stade antérieur de développement subsiste à côté du stade ultérieur né de lui. La succession implique une coexistence, bien que toute la série des transformations découle des mêmes matériaux. L’état psychique initial peut bien, des années durant, ne pas se manifester ; il n’en subsiste pas moins, tant et si bien qu’il peut un jour redevenir la forme d’expression des forces psychiques, voire la force unique, comme si tous les développements ultérieurs avaient été annulés, ramenés en arrière. Cette extraordinaire plasticité des développements psychiques n’est pas illimitée quand à sa direction. (…) Mais les états primitifs peuvent toujours être réinstaurés ; le psychique primitif est, au sens le plus plein, impérissable », dans « Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort » (1915), Essais de psychanalyse, petite bibliothèque Payot, 15, Paris, Payot, 1981, p. 22